Née il y a tout juste cinquante ans, la Nouvelle Vague n’en finit plus d’irriguer le cinéma contemporain. Un album et une rétrospective témoignent de son impact décisif…

C’était il y a cinquante ans, le 4 mai 1959 précisément. Accueillie triomphalement, la projection au Festival de Cannes des Quatre cents coups de François Truffaut consacrait l’acte de naissance publique de la Nouvelle Vague. Une forme d’aboutissement pour un phénomène latent depuis quelque temps déjà, à l’échelle de la société française: s’agissant de tenter de cerner le profil de la jeunesse, l’hebdomadaire L’Express avait ainsi popularisé l’expression « nouvelle vague » depuis octobre 1957. Le cinéma en serait le terrain d’expression privilégié, en prise sur l’époque, bien sûr, et aiguillonné dans un premier temps par une poignée de critiques des Cahiers du cinéma: François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol, Jacques Rivette et Eric Rohmer, tous futurs fers de lance du mouvement.

Née en réaction à la production ambiante – la « qualité française », que ces « jeunes Turcs » n’auront de cesse de vilipender -, la Nouvelle Vague lui oppose son esthétique et sa manière, propres. Elle impose notamment économie légère et souplesse de production, retrouvant la rue au détriment des studios, non sans traduire les aspirations et le rapport à la vie d’une génération. Au point, d’ailleurs, qu’on peut évoquer sans exagération un avant et un après Nouvelle Vague, tant elle vient bouleverser l’ordre cinématographique établi, avec un impact débordant largement le cadre des salles obscures. Ce que formule joliment Antoine de Baecque dans le passionnant album qu’il consacre au mouvement, envisagé sous l’angle sociologique et cinématographique, La Nouvelle Vague. Portrait d’une jeunesse: « Il s’est passé quelque chose d’unique, une double reconnaissance: une génération de Français – qu’on a appelée « nouvelle vague » dans les journaux, les enquêtes et les magazines – s’est retrouvée à peu près synchrone avec une idée et une pratique du cinéma – qu’on a nommées « Nouvelle Vague ». Seule cette adéquation, presque trop belle, mais éphémère, a pu transformer un moment particulier de l’histoire du cinéma en une mythologie des temps modernes. »

L’explosion artistique est pour le moins spectaculaire: « en trois années, ils seront exactement cent quarante-neuf « néocinéastes » à tourner leur premier film, afflux de sang neuf jamais rencontré auparavant dans l’histoire du cinéma mondial », relève encore de Baecque, traduisant l’effervescence qui règne alors. Plus que leur nombre, la qualité de diverses £uvres tournées à l’époque laisse rêveur: A bout de souffle, Hiroshima mon amour, Cléo de 5 à 7, Lola, Jules et Jim, Les Cousins, Vivre sa Vie… il y a là quantité de films qui ont contribué à propulser le cinéma dans l’ère moderne – et que l’on peut, pour la plupart, redécouvrir dans la remarquable rétrospective que consacre, pendant tout l’été, la Cinematek au mouvement.

L’esprit de la Nouvelle Vague

Si celui-ci fut éphémère – trois petites années, à peine, avant un prévisible retour de manivelle conjugué à une désaffection générale du public -, son impact sur le cinéma fut par contre considérable. Dans la foulée, quantité de cinématographies se réinventèrent, portées par des cinéastes embrassant les préceptes chers aux jeunes auteurs français, et trouvant dans leur exemple la liberté de tourner à leur main des sujets personnels – postulat valable de la Pologne à la Tchécoslovaquie en passant par le cinéma indépendant américain.

Depuis, on peut par ailleurs considérer que l’esprit de la Nouvelle Vague n’a cessé de planer, bienveillant mais exigeant, sur tout un pan de la production cinématographique. De Christophe Honoré à Tsai Ming-liang, on ne compte pas les cinéastes de premier plan qui en assument un héritage plus ou moins détourné. Jusqu’à un Riad Sattouf qui confiait, tout récemment, à l’occasion de la sortie des Beaux gosses, combien Les Quatre cents coups lui avaient laissé une impression indélébile. Quant à Pedro Almodovar, sollicité récemment par les Cahiers du cinéma à l’occasion d’un dossier spécial, il constatait pour sa part: « Ce mouvement n’est pas mort, à condition de ne pas chercher à l’imiter de manière servile, il contient toujours des réserves d’énergie pour des cinéastes d’aujourd’hui, partout dans le monde. » On ne saurait mieux dire…

La Nouvelle Vague. Portrait d’une jeunesse. De Antoine de Baecque. éd. Flammarion. 128 pages.

Cycle Nouvelle Vague. à la Cinematek, Bruxelles, jusqu’au 23/08.

Cycle Anna Karina, à Flagey, Bruxelles, jusqu’au 31/08.

Texte Jean-François Pluijgers

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