Serge Coosemans

Madame Sa Majesté des Mouches

Serge Coosemans Chroniqueur

Sa Majesté des Mouches, classique de la littérature britannique dont la dernière adaptation cinématographique convenable remonte à 1963 va prochainement se voir transformé par Hollywood en film au casting essentiellement féminin. Un « non-sens » selon certaines féministes. Ainsi qu’un sujet en or pour Serge Coosemans et son Crash Test, dont voici le premier épisode de la troisième saison.

L’annonce de la mise en chantier d’un remake hollywoodien, ou plutôt d’une nouvelle adaptation du classique de la littérature britannique Lord of the Flies (Sa Majesté des Mouches, William Golding, 1954) a généré cette semaine sur les réseaux sociaux un torrent de moqueries et de commentaires aussi ahuris que souvent ahurissants. Il faut dire que Scott Mc Gehee et David Siegel, les initiateurs du projet, ont choisi un angle qui ne pouvait que faire polémique. Leur casting sera en effet essentiellement féminin. « C’est une opportunité de raconter cette histoire bien connue d’une nouvelle manière et le fait que ce soit avec des filles et non avec des garçons va aider les gens à la revoir d’un autre oeil », a déjà annoncé Scott Mc Gehee dans la presse spécialisée. Et Twitter de s’enflammer: quoi? Encore une affaire de types blancs qui vont adapter un bouquin de type blanc qui ne parle que de types blancs, donc aussi de domination, de hiérarchie sociale et d’impérialisme, mais en remplaçant les types blancs de l’histoire par des femmes? Des femmes sans doute américaines, donc aussi d’origines diverses! Mais des femmes qui vont jouer des rôles de personnages dans le roman présentés comme de purs produits de l’Empire britannique déclinant! Hérésie! Sucrage de fraises! Patriarcat délirant!

La critique est recevable, défendable même: un film avec un casting essentiellement féminin pourrait en principe être aussi réalisé par une femme et, surtout, raconter une histoire féminine; pas féminiser une histoire de petits mecs entre eux, avancent ainsi certaines féministes. Le problème, c’est que beaucoup de ces mêmes féministes ajoutent dans la foulée à leur argumentation une justification qui est elle, en revanche, complètement con. C’est qu’une adaptation féminisée de Lord of the Flies tiendrait selon elles surtout du non-sens parce que si des jeunes filles se retrouvaient vraiment isolées sur une île déserte comme les garçons dans le bouquin, elles n’iraient jamais instaurer une hiérarchie, ne commettraient pas d’actes violents et se soutiendraient tout simplement les unes les autres en attendant les secours. Déjà, c’est oublier que Lord of the Flies a pour décor lointain une guerre nucléaire, que dans ce roman, personne n’est donc vraiment sûr qu’il existe encore une civilisation et de potentiels secours à attendre. Les enfants y recréent sur l’île un semblant de société mais c’est une société condamnée puisque incapable de prospérer et de perdurer et c’est aussi une société violente et hiérarchisée parce que c’est le seul modèle qu’ils connaissent. Et puis, c’est surtout une fiction. Pas un manuel de survie sur les îles désertes et encore moins un récit basé sur une quelconque réalité.

Pour le coup, la réalité aurait même plutôt tendance à inviter ces féministes sinon à aller se faire foutre, du moins à bien faire la part des choses entre ce que dénonçait William Golding au travers de son allégorie de la lutte des classes et ce qui se passe réellement quand des hommes se retrouvent dans des situations d’isolement extrême pour des jours, des semaines, des mois, voire des années. On constate en effet que loin de sombrer dans la violence et la domination des plus faibles, c’est au contraire le plus souvent la collaboration et l’empathie qui priment dans ces cas-là, dans une volonté commune de survivre. Bien sûr, il existe aussi des histoires horribles. Le plus souvent, parce que ces survivants-là sont devenus fous, ont perdu la volonté de vivre, ont rencontré des animaux féroces, des criminels locaux ou n’ont encore jamais été retrouvés par les missions de secours, ce qui laisse généralement supposer le pire.

Bon nombre d’histoires du genre n’en sont pas moins carrément optimistes. Prenons par exemple le naufrage du Vergulde Draeck, un accident maritime qui laissa 75 marins perdus sur les côtes australiennes, en 1656. On mit deux ans à les retrouver. S’étaient-ils bouffés les uns les autres? Avaient-ils sacrifié, comme dans Lord of the Flies, le plus faiblard de la bande à une divinité inventée dans un délire collectif né de leurs carences alimentaires? Pas du tout. En 1658, tous ces types étaient en très bonne santé, parfaitement détendus et complètement intégrés à la population aborigène locale. Bref, j’ai envie de dire que postuler que la violence et la noirceur de Lord of the Flies est typiquement masculine est en fait aussi couillon, infondé et dénigrant que d’avancer que des donzelles sur une île déserte passeraient leur temps à mouler des cupcakes dans le sable et à répéter des chorés de Beyoncé histoire garder le moral. C’est un cliché. C’est surtout volontairement oublier, le temps d’une amnésie démagogique et idéologique, que Lord of the Flies est une fiction, que William Golding y a inventé une situation pour faire passer un message mais que dans la réalité, dans une situation comparable, il est en fait plutôt rare que cela se passe comme dans le bouquin. Et puis, comme je suis fondamentalement un troll, j’ai tout de même aussi envie de rappeler que si il ne semble pas exister de documentation sur comment se comportent réellement des femmes perdues sur une île déserte, avoir vu certaines rombières en colocation forcée se crêper hystériquement le chignon le temps de certaines émissions de télé-réalité laisse tout de même supposer qu’un apocalyptique Madame Sa Majesté des Mouches « girls only » n’est pas forcément si insensé que ça. En vous remerciant, bonsoir, jolies ladies.

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