Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Au nom du fils… – Paternel de Rufus et Martha Wainwright, Loudon n’a jamais dissimulé son goût de l’ironie cruelle. Avec Recovery, il s’en offre une cure magistrale.

« Recovery »

Distribué par Munich Records.

C’était le tunnel bizarre des années 70. L’Antiquité. Avant le raz-de-marée punk qui nettoierait – au moins on le pensait – toutes les scories du rock, ses bouffonneries et ses paresses. On ignorait volontairement certains noms folk-blues parce qu’on n’avait pas vraiment compris l’importance de leur musique, lacérant les amnésies et les politesses bouffies de l’Amérique. A Randy Newman ou Loudon Wainwright, on préférait T. Rex et Mott The Hoople, adorant plus Dylan pour son apparition miracle dans Don’t Look Back que pour ses rébus verbeux.

La roue du temps a circulé et puis, après avoir déjà un peu vécu, on s’est mis à écouter ces cyniques poètes. Et on a découvert l’envers de la pile: des chansons remplies de vie et de fiel, souvent dessinées sur des mélodies rassurantes. Le yin et le yang quoi. Dans le cas de Loudon Wainwright, on a aimé les disques de son fils Rufus puis, plus tard, ceux de sa fille Martha, qui nous ont tous renvoyés au pater. Celui-ci, sans être gay ou baroque (ou même femme), a placé ses défonces au creux de ses chansons hérétiques plutôt que dans les narines ou les veines. Le patronyme tranquille trompe un peu, surtout ce III qui signe l’appartenance aux familles américaines saoulées de tradition: Loudon, fils d’un éditorialiste à Life Magazine, est passé par la prestigieuse St Andrew’s School, lieu de tournage du Cercle des poètes disparus. Pourtant, sa philosophie n’a rien de carpe diem, elle en est plutôt à découdre les bonheurs béats et à disséquer nos peurs banales.

Jeunesse, famille

Ce nouveau Recovery, vingt-troisième album studio depuis le premier sorti en 1970, ne délaisse pas cette veine où une chanson est trop souvent la confirmation supplémentaire d’un naufrage. Et parfois, plus rarement, l’éclairage sur un sauvetage. Loudon a été rechercher des vieilleries de ses quatre premiers albums et les a réenregistrées sous la direction de Joe Henry, producteur qui rend à la guitare, au piano et à la voix, leurs forces essentielles. Le temps qui passe donne un autre sens à Saw Your Name In The Paper, à l’origine une grimace au business et maintenant, un avertissement de l’illusion de la gloire adressé à ses enfants.

Jeunesse, famille: deux thèmes qui traversent le disque, lèvent le coude avec le paternel dans The Drinking Song et regardent dans les yeux la solitude infinie qu’y loge à Motel Blues. Ce morceau-là, rude et magnifique, est l’exemple éclatant du talent de songwriter de Wainwright senior. New Paint est l’autre étincelle majeure d’un disque qui ressemble à un feu d’artifices. Sauf que la pluie d’émotions ne se refroidit pas en retombant et qu’elle reste un long moment installée en nous. Rufus et Martha peuvent être fiers: papa peut encore leur donner une ou deux leçons sur la beauté du vitriol.

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Philippe Cornet

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