Madness a connu la gloire du ska-revival fin des années 70 avant divers épisodes mineurs. Il revient avec The Liberty Of Norton Folgate, album digne de la Grande Albion.

Anderlecht, 29 avril. Il est 13 heures et les trois Madness sont déjà installés, joyeux, à la terrasse d’un café sorti de la brusseleer connection: le patron ressemble à un boxeur déclassé, les autres clients ont depuis longtemps renoncé à la Spa. Les Madness men sont eux-mêmes porteurs d’un assez beau pédigree. Lee Thomson, le saxophoniste, ressemble à un sachem endormi et Chris Foreman, le guitariste, est décoré en intégrale Burberry: à deux, ils ont fondé Madness en 1976, prenant en charge les rênes de l’écriture vaudevillesque du groupe. Dans leur tâche ardue, ils seront épaulés par le pianiste Mike Barson et un quatrième homme d’importance, Suggs, arrivé en 1977 comme chanteur-leader scénique très identifiable. Tous participent goulûment au visuel carnaval, caractéristique d’un groupe ayant injecté le combustible ska jamaïcain dans un moteur pop indéniablement british. Sugss, né en 1961 à Hastings, au bord de La Manche, est le plus jeune – les autres membres tutoyant déjà la cinquantaine. Il est aussi le porte-parole le plus articulé.  » J’habite une rue un peu comme celle-ci, au centre de Londres, multiculturelle, il y a des gens balafrés ou qui vendent de l’héroïne aux gamins comme là devant (rires). Quand on a commencé il y a un peu plus de trente ans, à Camden Town (ndlr: nord de Londres) le quartier était beaucoup moins gentryfié qu’aujourd’hui, mais il faut accepter les changements, ils font partie de la vie. »

Le nouvel album (cf. encadré) oscille entre fiction et documentaire, en tout cas il sonne comme le meilleur délire madnessien depuis la grande époque des tubes en rafale. Norton Folgate – qui inspire le titre du disque – est un district proche de la City qui a longtemps évolué comme une communauté insulaire, totalement indépendante du reste de Londres…  » La plupart des histoires sont vraies explique Suggs. Le grand plaisir d’être dans Madness, c’est qu’on ne travaille pas tout le temps, donc j’ai le loisir de m’asseoir dans les bars et d’observer les gens, de capter les conversations de la vie quotidienne. Avant de mourir, je voulais absolument faire un grand disque de Madness. » Un grand disque londonien. Madness profite d’une rupture avec son employeur discographique (V2) pour s’enfermer dans un bâtiment abandonné du nord de Londres  » où il y a à peine de quoi faire du thé ». Il y crée une raclée de bonnes chansons: Forever Young est l’une d’entre elles, déclenchée par  » l’étincelle que Suggs voit dans les yeux de ses enfants, de ce qu’ils peuvent encore nous apprendre ». Enfants, immigrants… Dans la plage titulaire, épopée de dix minutes qui brise le carcan classique du ska-pop ludique, Suggs & C° taillent des croupières aux intolérances viscérales.

Melting-pot

Rappelant que l’Angleterre – comme tant d’autres – s’est construite grâce à l’immigration.  » Aux gens à qui le sujet fait peur, je tente d’expliquer que, depuis les Saxons et les Romains, les premières invasions étaient déjà des immigrations. Les Bengalis ou les gens de l’Est qui arrivent aujourd’hui à Dalston, tentent de se trouver une place pour vivre à Londres. On sait que quand les conditions économiques sont plus dures, on cherche des boucs émissaires! »

Le discours de l’intégration est clair, il fut un (court) moment où les concerts de Madness, contre leur gré, ressemblaient à une convocation du National Front. C’était il y a trois décennies; entre-temps les skins fachos sont, pour la plupart, partis à la pension.  » On était assimilé à eux alors qu’on écoutait de la musique noire. Aujourd’hui, le fantasme skin est plutôt en Italie, en Russie ou en Californie. Tout ce que l’on faisait nous, c’était de porter un style. Comme l’a dit Kevin Rowland (ndlr: chanteur de Dexy’s Midnight Runners), les skins avaient la même coupe de cheveux que les astronautes. » Les bières passent, le temps aussi. On évoque la reformation de leurs contemporains, les Specials – » exceptionnels en scène » – et cette chanson corrosive, ClerkenwellPolka: « Elle fait allusion à un quartier du centre de Londres qui a toujours été le foyer d’un certain radicalisme, le Morning Star (ndlr: journal communiste) y est né. Le morceau est inspiré par ces intellectuels en exil qui se sont installés à Londres avec leurs idées nouvelles. Et puis, c’est une polka à la sauce Madness. Elle a été écrite avant la crise économique actuelle mais elle parle de façon assez poignante de ces gens qui n’ont plus grand-chose. Dans les années 70, le punk et 2 Tone (1) sont nés de la crise, et puis la récession des eighties a engendré le hip-hop, les Happy Mondays, et maintenant, peut-être que quelque chose d’étonnant va venir de Londres. Peut-être que cela est déjà arrivé, peut-être bien que c’est nous (rires). »

(1) Label de disques fondé en 1979 par Jerry Dammers des Specials. Madness y a enregistré son premier single, The Prince.

CD The Liberty Of Norton Folgate chez Pias. Il existe aussi en box de luxe en 3 CD+1LP.

Texte Philippe Cornet

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