L’oeuvre de la semaine: le diable en gris

Jérôme Zonder, Jean-François#6, 2020. C Galerie Nathalie Obadia, Paris-Bruxelles. © dr
Guy Gilsoul Journaliste

Jeté à la face du visiteur, l’oeuvre de Jérôme Zonder effraie et séduit. Est-ce un portrait ? Mais alors de qui ? Ou, avant toutes choses, un prétexte à dessiner ici avec les seuls moyens du fusain et de la mine de graphite ?

Le titre, « Pierre-François #6 » pourrait renvoyer à un ami venu poser comme d’autres le firent dans la carrière du portraitiste français de 46 ans. Ou alors d’un personnage historique dont il fait un personnage de fiction comme « Garance » inspirée par la figure de la Femen Julie Javel. Non, ici, ce Pierre-François renvoie à l’acteur Marcel Herrand qui, dans « Les enfants du paradis » de Marcel Carné incarne Pierre-François Lacenaire, un poète anarchiste et dandy du crime guillotiné en 1839. Comme le personnage historique qui défraya les chroniques, le dessin construit l’image d’un homme double. Voyez l’oeil droit, puissant et lumineux alors qu’à la place de l’autre, ne se présente qu’une ombre noire aux contours rocailleux. Voyez les dents, faites pour mordre, arracher et tuer. Si la chevelure, faite à la poudre posée au doigt, évoque une organicité insaisissable, le port d’une douce et bien quelconque chemise à petits carreaux fait aussi du ténébreux, un rassurant anonyme, quidam de la foule et en final, chacun de nous auquel le gris dominant le dessin définit l’identité ambivalente du modèle : un être gris. Comme nous le sommes tous ?

L’oeuvre de Jérôme Zonder est la dernière que rencontre le visiteur de l’exposition « L’homme gris » imaginée comme un expérience introspective provoquée par la complicité d’une vingtaine d’artistes internationaux allant d’Andres Serrano à Jan Fabre en passant par Tony Oursler et quelques belles découvertes. Le thème imaginé par Benjamin Bianciotto vise l’image du diable qui nous habite et nous encercle. Mais un diable double face avec d’un côté Lucifer, figure du désir de liberté absolue, et Satan, lié à l’univers des contraintes. Les trois séquences du parcours, depuis de petites oeuvres semées à la volée et proposées à l’horizontale jusqu’au labyrinthe suivant pour conclure avec un cheminement où l’horreur conduit à l’introspection se termine donc par cette figure de « Pierre-François#6 » qui nous ramène aussi au paradoxe diabolique de l’Art : « Je ne cherche pas à produire un document (une ressemblance), explique Jérôme Zonder, mais le modèle m’est un prétexte à élargir mon espace créatif. »

Luxembourg, Casino Luxembourg, 41 rue Notre Dame. Jusqu’au 31 janvier. Tous les jours sauf mardi de 11h à 19h, jeudi jusqu’à 21h. www.casino-luxembourg.lu Entrée gratuite.

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