Superdupont, le re-re-retour

Superdupont © Éditions Dargaud
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Le plus français de tous les super-héros fait son come-back sous le dessin de Boucq, et toujours sous la plume de Gotlib.

La petite histoire (et Gotlib lui-même) raconte que Superdupont est né en 1972 dans deux cerveaux à la fois. Celui de Marcel, qui se cherchait des personnages à intégrer dans sa « Rubrique-à-Brac » (le commissaire Bougret faillit devenir Superdupont!), mais aussi, au même moment, dans celui du scénariste Jacques Lob: tous deux imaginent un personnage de super-héros 100 % français, parodie du Superman américain, avec maillot de corps, caleçons longs, charentaises, béret et grosse bedaine « pour assumer sa quadragénarité florissante ». Tous deux trouvent le même nom -Superdupont!- et le même ton: une loufoquerie bavarde, hilarante et au dessin quasiment réaliste, mettant en scène un ultra-patriote doté de véritables super-pouvoirs, mis exclusivement au service de son chauvinisme exacerbé, prônant le patriotisme économique 30 ans avant Montebourg -Superdupont boit du vin, mange du camembert, refuse d’être dessiné à l’encre de Chine, consomme trois paquets de Gauloises par jour (mais sans les allumer)… et combat « l’Anti-France », mouvement sectaire qui s’en prend aux « vraies valeurs de la France », de l’hymne national à la Tour Eiffel, et ce via une bande de méchants vraiment très bêtes, mêlant mots et accents étrangers. Une parodie, évidemment, pour mieux se foutre de la gueule des xénophobes de tout poil et des beaufs franchouillards.

L’Anti-France, plus de saison

Superdupont, le re-re-retour

Gotlib et Lob, plutôt que de se battre, travailleront immédiatement ensemble, Gotlib se chargeant de dessiner les deux premiers et seuls épisodes qui paraîtront dans Pilote. Parti ensuite fonder Fluide Glacial, Marcel Gotlib confiera alors le dessin à Alexis. Superdupont connaîtra alors une longue Histoire aussi drôle que chaotique, marquée par de fréquents changements de dessinateurs (voir encadré) et des arrêts soudains. Le revoilà aujourd’hui, en pleine forme, et en pleine paternité: car Superdupont, lui-même fils du Soldat Inconnu, est désormais papa!

Cette fois, plus d’Anti-France à l’horizon; dans les années 80, et au grand dam de Gotlib qui le vécut très, très mal, le Front National avait un temps récupéré le personnage pour illustrer ses propres théories racistes -un comble! Une lecture au premier degré qui mit quelque temps Superdupont (devenu de fait un peu « Superbeauf ») au placard -ses auteurs l’enfermèrent même volontairement dans une colonne Morris, tel Han Solo dans son sarcophage!

« Nous nous sommes dit que l’idée d’une Anti-France n’était plus défendable aujourd’hui, explique François Boucq. Elle risquait de transformer Superdupont en un personnage xénophobe, surtout après les attentats de janvier dernier. Il nous a semblé plus intéressant de faire de lui le défenseur de ces valeurs françaises que sont la liberté, l’égalité et la fraternité. » Le tout évidemment sans se prendre, jamais, au sérieux: Superdupont se bat désormais contre le pape des Ténèbres, tout en pouponnant son super-nouveau-né (élever un super-héros n’est pas à la portée du premier venu, faut en avoir dans le calcif!). Le nouvel album Superdupont Renaissance navigue donc presque à vue entre grosses blagues de potaches -Superbébé fait des super gros cacas- et un humour complètement absurde comme l’affectionnent autant Gotlib que Boucq, via ses Rock Mastard déjà écrits avec Karim Belkrouf, ou ses Jérôme Moucherot: parmi les faits d’armes de ce premier album, on retiendra ainsi de superbes combats aériens et une bataille d’onomatopées (des « baoum » contre des « pif », des « paf » et un génial « shtompf ») aussi originale qu’hilarante. Retour jubilatoire donc pour ses lecteurs, mais aussi pour Gotlib, qui revient ainsi à la BD, et pour François Boucq, dont la présence au dessin sonne ici comme une évidence.

SUPERDUPONT RENAISSANCE DE MARCEL GOTLIB, FRANÇOIS BOUCQ ET KARIM BELKROUF, ÉDITIONS DARGAUD, 68 PAGES.

Le temple des réalistes loufoques

Superdupont, le re-re-retour

La série Superdupont est connue pour son humour et sa franchouillardise revendiquée et moquée, mais aussi et surtout pour son graphisme: dès sa naissance sous le trait de Gotlib, la série a revendiqué un sillon rare et presque « anti-gros nez », réunissant au gré des circonstances des dessinateurs d’une rare virtuosité, mettant un trait réaliste voire « sérieux » au service des blagues les plus bas-de-plafond. Une manière de faire qui a réuni le meilleur des aristocrates du dessin d’humour, convaincus que le beau peut être, aussi, au service du rire, comme ils l’appréciaient par exemple dans le fameux MAD américain. Gotlib avait donné la marche à suivre, le regretté et surdoué Alexis prit la suite jusqu’à sa mort subite en 1977. Si Boucq fut déjà approché à l’époque pour lui succéder, c’est le non moins talentueux Solé qui s’en chargea. Mais d’autres cadors de ce genre si particulier se virent offrir l’une ou l’autre histoire complète, dont Neal Adams (véritable légende et dessinateur de véritables comic books), Al Coutelis ou Daniel Goossens. Autant de virtuoses graphiques qui, à contre-courant, ont toujours choisi l’humour pour exprimer leur talent. Une école dont François Boucq est désormais l’un des plus fameux représentants: il n’était donc que logique de le retrouver derrière cette nouvelle renaissance de Superdupont, à la tête duquel il s’amuse visiblement comme un petit fou à multiplier les combats aériens, les contre-plongées et les envolées graphiques, bien rares dans le monde de la bande dessinée humoristique, abonnée aux gros nez.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content