Sexe et BD: dessine-moi un zizi

1001 visions du sexe © Editions Graph Zeppelin
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

La représentation du sexe dans la bande dessinée n’est plus vraiment un enjeu, juste un défi graphique. Le Belge Patrice Bauduinet vient ainsi d’en réunir plus de 1000, dans un livre qui ne montre que « ça ».

Les limites qui séparent un concept éditorial d’un TOC un peu pervers sont parfois aussi minces que la peau d’un prépuce. Ainsi Patrice Bauduinet, figure connue de la BD indé et du cinéma d’auteur (fauché) belge, qui depuis cinq ans se promène dans les vernissages, les bars, les festivals ou le train armé d’un carnet et d’un bic, avec une seule demande, formulée jusqu’ici à des milliers de personnes, dont au moins 3000 ont répondu positivement: « Dessine-moi un zizi. » Ou plus précisément d’abord une zézette, puis un zizi. Ou plus précisément encore, comme le dit lui-même Patrice Bauduinet et « auteur » de ces 1001 visions du sexe: « Ma question est simple et directe: je leur tends un petit carnet Moleskine noir et je leur demande de me dessiner leur vision du sexe de la femme. Une fois cette requête accordée, ce qui est presque toujours le cas, je leur demande de me dessiner leur vision du sexe de l’homme. A ce jour, je suis arrivé à avoir plus de 6000 dessins. » Il en a gardé 2500 pour illustrer cette anthologie qui ne fera pas date dans l’Histoire de la BD, mais qui en dit sans doute long sur la vision de nos contemporains autour de cet obscur objet du désir, masculin ou féminin. Et sur son incroyable potentiel graphique, dont on est loin d’avoir fait le tour: il n’y en a pas un pour ressembler à l’autre.

La bite à Geluck

Patrice Bauduinet a tapé large dans sa quête des sexes: « Autant de dessinateurs que des gens qui ne savent pas dessiner, des enfants jusqu’aux grands-mères (de 4 à 93 ans) et ce avec une mixité régulière femme/homme des auteurs. Du libraire, en passant par le banquier ou le chanteur connu, j’ai réussi à rassembler des personnes provenant de tous les horizons. Presque aucun refus mais plutôt des grands sourires et de grandes discussions sur la sexualité. » Le livre, chapitré par « types » de représentations (poétiques, symboliques, médicales, humoristiques, etc.), mélange ainsi amateurs, auteurs et milieux sociaux, au point que dans les milliers de visions du sexe qu’on y trouve, il est aussi difficile d’y retrouver la bite à Geluck ou la foufoune de Fred Vargas, pourtant présents parmi moult crobards de célébrités, que d’en tirer des conclusions réellement sociologiques. Seule une évidence s’impose dans ce défilé très moules et frites (on veut dire belge): l’incroyable diversité des visions et des représentations de ces petites choses, qui semble inépuisable. Patrice Bauduinet en a tiré certaines statistiques cocasses (voir encadré), on y a vu aussi une des explications du renouveau de la bande dessinée érotique de ces dernières années: le sexe et ses affinités représentent aujourd’hui pour les dessinateurs un vaste champ d’exploration graphique plus que masturbatoire.

Sexe et BD: dessine-moi un zizi
© Zep/Le Monde

Cool ou banal?

Le sexe dans la BD, tout le monde s’y est mis. Pas un éditeur classique sans sa collection ou ses titres érotiques, plus un auteur sans son récit de cul. La BD érotique, qui fut tour à tour subversive, puis chic, puis cool, est devenue presque banale: Zep se déride avec son Happy Sex pendant que Benoit Feroumont prépare un deuxième récit chaud chez Dupuis, après Gisèle et Béatrice; les éditions Tabou, lancées il y a dix ans, ne le sont plus à voir le monde qui se presse à leur stand durant les festivals; la collection BD Cul des Requins Marteaux, qui vient de s’enrichir d’un enivrant Bernadette par El Don Guillermo, semble définitivement être la seule rentable du collectif. Ne parlons pas des hentai qui cartonnent niveau mangas; même les comics américains font fi de genres jusque-là très cadenassés: cet été paraissait dans la collection Erotix de Delcourt le premier tome de la série Sexe, se penchant sur la sexualité parfois turgescente d’un super-héros à la retraite. Une vague de dessins érotiques qui coïncide aussi avec l’explosion de l’accessibilité à la pornographie, principal contenu du Web, qui a définitivement « dés-érotisé » le cul. Au point que seul le dessin semble aujourd’hui capable de faire rêver. Ou fantasmer. Tant mieux pour lui.

  • 1001 VISIONS DU SEXE, OUVRAGE COLLECTIF RÉALISÉ PAR PATRICE BAUDUINET, ÉDITIONS GRAPH ZEPPELIN, 192 PAGES.

3035 zizis, 273 érections

Patrice Bauduinet tire peu de conclusions de ses 1001 visions du sexe, mais tout de même quelques statistiques aussi inutiles qu’amusantes. Il a ainsi recensé 3046 petits dessins de foufoune, pour 3035 dessins de zigounette. L’essentiel de la production se veut figuratif: 7% des sexes féminins prennent la forme de végétaux, quand 7% des sexes masculins se réfèrent à des objets. Les records pour chacun? 639 dessins de vagins les présentent frontalement, sans symbolisme et « au repos » (?), quand 318 petits dessins assimilent le zizi à une forme symbolique, spirale, triangle, courbe ou flèche. Rayon représentations imprévisibles, Patrice Bauduinet a pointé neuf dessins de bites faisant référence à la maternité et 31 vues internes de la vulve -les psychiatres en feront ce qu’ils veulent, il n’y a par contre aucune vue intérieure des kikis. Sans surprise également, l’auteur n’a comptabilisé aucune couille dans les dessins de sexe féminin -alors qu’on n’en dénombre que 23 paires chez les hommes. On ne les a pas recomptées, mais ça semble très peu.

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