Critique | Livres

Richard Corben au paradis des zombies

Richard Corben est décédé à l'âge de 80 ans. © Dana Corben / Delirium
Colin Bouchat Journaliste BD

Décédé à 80 ans le 2 décembre, Richard Corben livrait encore régulièrement ses histoires fantastiques de héros aux corps hypertrophiés. La preuve avec son dernier opus, Murky World.

Durant toute sa carrière longue d’un demi-siècle, Richard Corben n’a jamais dévié du sillon de la série Z qu’il a creusé. Fantastique, science-fiction et épouvante ont nourri son oeuvre depuis ses premières parutions pour les magazines Eerie et Creepy au début des années 70. Sa renommée a très vite traversé l’Atlantique et ses histoires ont trouvé place, d’abord dans le magazine Actuel puis dans Métal Hurlant où paraissent ses chefs-d’oeuvre que sont Den, Les Mille et Une Nuits et, plus tard, Bloodstar, Vic & Blood et Temps déchiré. Dans les années 90, suite à la faillite de sa maison d’édition Fantagor, l’auteur se voit confier par des éditeurs admiratifs de son oeuvre des collaborations sur des séries plus mainstream commeHulk, Hellblazer ou The Punisher au sein de géants américains comme Marvel, DC ou encore chez l’indépendant Dark Horse Comics. En France, ses dernières BD ont été éditées par Delirium. Son dessin kitsch, grotesque, « énooorme » mais d’une fascinante maîtrise n’avait pas pris une ride et ne s’est que rarement écarté de son style de départ. Seul l’outil s’est modernisé. Si à ses débuts il dessine en noir et blanc, il va rapidement développer une technique de couleurs uniques, en jouant avec les différentes plaques d’impressions qui produisent des effets comme sortis d’un autre monde et devenus sa marque de fabrique.

Richard Corben au paradis des zombies
© Delirium

Monstres, zombies et mamelles

Depuis une bonne dizaine d’années et à quelques exceptions près, il scénarisait lui-même ses histoires. N’ayons pas peur de dire d’emblée que la grande période de Corben était derrière lui. L’histoire de Murky World s’apparente aux premiers Tintin: une succession d’actions collées les unes aux autres, se tenant tant bien que mal entre elles. Le fait qu’il ait commencé ce projet en 2011 interrompu plus d’une fois, n’est sans doute pas étranger à cette baisse de régime. Et pourtant, la magie opère. Graphiquement, rien ne change: toujours autant de muscles, de seins, de monstres pourrissants, de déserts arides, de gueules caricaturées, de combats chorégraphiés… Les couleurs hallucinées pallient efficacement le manque de décors, mais quand décor il y a, il est fabuleux. Le scénario est assez simple: Tugat, héros simple d’esprit, évolue dans un monde barbare à la recherche de la belle Moja. Mais si les femmes sont toujours l’objet du désir des hommes, ce sont elles qui tiennent les rênes du récit et font tourner en bourrique le pauvre héros. Notons que Corben a toujours tenu à ce que la parité entre les hommes (nus) et les femmes (nues) soit respectée. Cet opus n’est peut-être pas le meilleur moyen d’entrer dans l’oeuvre du maître mais il ravira, comme toujours, le fan. La vieille Mag, alter ego féminin de l’auteur et présente depuis les premières histoires, introduit pour la dernière fois les chapitres de cet ultime album. Puisse Richard « Mozart » Corben -dixit Moebius-, Grand Prix d’Angoulême en 2018, nous revenir en zombie et nous hanter encore longtemps.

Murky World, de Richard Corben, éditions Delirium, 136 pages. ***(*)

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