Notre sélection bouquins de la semaine

Trois romans qui emmènent leurs lecteurs au coeur de la Guerre des Balkans, dans une Côte d’Ivoire étouffée par le poids des traditions, et dans une Algérie plongée dans la guerre civile islamique.

Le projet Lazarus, roman d’Aleksandar Hemon, éditions Robert Laffont. Traduit de l’anglais (USA) par John-Frederik Hel Guedj. 378 pages.

« Et combien de martyrs nous faudra-t-il avant de comprendre que nous devons réagir armés, armés de notre juste colère? » 1908. Lazarus Averbuch, jeune Juif ukrainien de 17 ans, s’enfuit de son pays pour échapper aux persécutions antisémites et se réfugie à Chicago, où il sera abattu par le chef de la police, sous prétexte d’appartenir à un groupe anarchiste. Un siècle plus tard, l’écrivain bosniaque Vladimir Brik, exilé aux USA (comme l’auteur), décide de plonger dans l’histoire de Lazarus afin de lui rendre son honneur.

Accompagné de son ami photographe errant, charmeur, flambeur et mythomane, il va se rendre en Ukraine. Là, c’est la fin d’un monde qui continue de pourrir de ses blessures, celles d’un peuple sacrifié au cours du siège de Sarajevo. D’un siècle à l’autre, entre la Guerre des Balkans et les pogroms, rien ne change.

Emaillé de photos sur fond noir qui illustrent la fin de chaque chapitre, ce roman est une bombe. Ecrit dans un style efficace et puissant, il fait de nous des acteurs, plus que des spectateurs, de cette histoire d’autant plus terrifiante qu’elle a un atroce parfum de vérité. L’auteur nous fait passer de la réalité à la fiction, et d’une époque à l’autre, avec une légèreté due à la virtuosité de l’écriture qui malgré le sujet dramatique, laisse la porte ouverte aux rêves.

Mais quels rêves? Car il n’y a pas qu’en Amérique qu’on exclut ceux qui n’entrent pas dans le moule… Finaliste du National Book Award 2008, né à Sarajevo et vivant actuellement à Chicago, Aleksander Hemon met le feu à nos dernières illusions, sur un monde où les hommes ne tirent jamais de leçons de leur passé. La seule arme de survie qu’il nous reste pour ne pas succomber aux horreurs de l’humanité, est l’humour noir. Très noir. (Nadine Monfils)

Loin de mon père, roman de Véronique Tadjo, éditions Actes Sud. 189 pages.

Ecriture magnifique qui plonge le lecteur dans les couleurs, les parfums et les échos d’Abidjan. Nina, en « voyages » depuis des années, revient au pays pour préparer les funérailles de son père. Angoisse et incertitudes taraudent la jeune métisse quand il s’agit d’affronter la famille pour qui elle n’est que l' »étrangère ».

Pourtant, très rapidement, happée par le tourbillon des préparatifs, Nina prend possession de la maison paternelle. Mais cela signifie se heurter aux coutumes locales, aux chefs rebelles de ce pays en guerre, aux magouilles et innombrables quémandeurs de prétendues remises de dettes. C’est aussi le choc d’apprendre que son père a laissé trois autres enfants conçus avec des femmes différentes, situation que sa mère, musicienne de talent, avait acceptée ou à laquelle elle s’était résignée avant de mourir. Pour Nina, l’incompréhension est totale, les questions jaillissent et les réponses restent hasardeuses dans ces clans où un silence tenace côtoie les pires rumeurs. Elle croyait connaître cet homme qui l’a quittée trop tôt, elle découvre un père qui lui a échappé.

Véronique Tadjo nous brosse une série de scènes urbaines comme autant de petits joyaux destinés à orienter Nina vers sa décision finale. Que de plaisir en lisant lors d’un flash back, un exposé de Nina sur les moeurs de la mante religieuse qui fascinent la petite fille; quel dépaysement lorsqu’on découvre chez l’éminent scientifique décédé un livret sur « la sorcellerie et ses remèdes »et quelle déception devant le chaos que connaît la Côte d’Ivoire. (M.-D.R.)

La grande fête, roman de Karin Albou, éditions Jacqueline Chambon, 169 pages.

Sélim est-il le seul coupable de la destinée malheureuse d’Hanifa? « Oui », répondront ceux qui estiment qu’il devait assumer coûte que coûte ses responsabilités, même s’il est le beau-frère de la jeune fille. « Non », rétorqueront d’autres en soulignant la coexistence difficile de deux cultures.

Nous sommes dans un petit village isolé de l’est algérien, là où le modernisme algérois n’est pas de mise; ce sont les traditions ancestrales, les superstitions et les rumeurs qui gèrent l’honneur des familles. Or la famille d’Hanifa est soupçonnée de s’être débarrassée d’un nouveau-né malvenu en l' »offrant » aux caprices de la mer plutôt qu’à la vindicte des hommes. Pour faire taire les rumeurs, le père mourant exige qu’Hanifa se marie mais Hanifa est nourrie de littérature sentimentale et a d’autres ambitions amoureuses depuis que le regard de Sélim s’est posé sur elle.

L’histoire se déroule pendant la fête de l’Aïd el-Kébir, moment de liesse et de fraternité dont ne pourra profiter Hanifa la sauvage, la mutique, celle qui fascine et que l’on craint. Sur fond de guerre civile islamique, c’est toute l’histoire d’un peuple oublié que nous raconte Karin Albou. Plongez-vous dans cette écriture sensuelle, elle est captivante: on a envie de savoir, envie de comprendre ce personnage complexe, envie de pénétrer un monde tellement différent du nôtre où la mort devient cette inversion des formes, le plein qui se dessine dans le creux, la présence qui surgit de l’absence. (M.-D.R.)

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