[le livre de la semaine] Ultramarins, de Mariette Navarro: vertige de la mer…

© Philippe Malone

La dramaturge Mariette Navarro déroute avec un étonnant premier roman à la poésie mâtinée de fantastique.

Ces matelots jusqu’au-boutistes du titre, il nous semble, à la lecture du livre, les avoir suivis façon marquage à la culotte, un carnet Moleskine à la main. On ne fut donc pas très étonné d’apprendre que pour écrire Ultramarins, son premier roman, Mariette Navarro a véritablement passé plusieurs semaines sur un cargo, un vrai. Pour ce qui est de cette mutation supposée qui, après quelques jours, « s’opère entre la chair et le métal… Une très légère évolution de l’espèce« , on ne sait pas, il faudra le lui demander.

« Une idée a traversé leurs corps, ils ont eu envie de se mettre nus », voilà ce qu’il s’est passé. La commandante ne sait pas trop pourquoi, mais elle a dit oui. Alors, transgressant à peu près toutes les règles, les 20 marins s’accordent une baignade en pleine mer, comme un entracte impromptu, dans le plus simple appareil. « Pendant presque une heure, ils ont perdu le fil de tout. » Un peu comme le critique, qui en oublierait presque -cela n’arrive pas si souvent- d’analyser, de juger, porté qu’il est par le ressac des phrases ô combien inspirées de la dramaturge et poétesse. La description des sensations des marins immergés (et nus) est particulièrement saisissante. Sur la carte, la commandante laissera « un trou dans le papier à l’endroit de leur saut, une ouverture possible à garder en mémoire ». Puis -c’est exquis-, ils étaient 20 moussaillons à la mer, les voici 21 de retour à bord! Un nombre « bancal, impair comme un croche-pied qui la ralentit dans la façon agaçante qu’elle a de surplomber le monde ». Une idée simple et géniale à la fois, qui troublera conjointement la commandante et le lecteur, fasciné. « L’essentiel, c’est qu’on n’ait perdu personne. »

Destination finale

On aurait dû s’en douter: ces spirales bicolores par lesquelles le cargo semblent lentement se faire happer sur la couverture du livre rappellent celles du fameux générique de la mythique Quatrième dimension. Il y a vraiment de ça dans ce roman. Et Navarro pousse le bateau au coeur d’une fantasmagorie stupéfiante. Il glisse alors (ultra-)lentement, autonome -et vivant!-, et se fraie un chemin sur une mer soudain recouverte d’une inquiétante brume blanche. « Et peu importe si c’est la mort au bout. »

Comme souvent, le voyage est aussi intérieur, et la commandante d’embarquer pour un flash-back avec, en guest star, son père, lui-même ex-commandant. Les couloirs du navire bruissent encore d’inquiétantes rumeurs courant sur sa mystérieuse dernière mission…

On pourrait chipoter, émettre quelques réserves sur la fin du livre, moins fantastique (dans tous les sens du terme) que les pages précédentes; ce serait oublier combien la croisière fut délicieusement déroutante.

Ultramarins

Premier roman. De Mariette Navarro, éditions Quidam, 156 pages. ****

[le livre de la semaine] Ultramarins, de Mariette Navarro: vertige de la mer...

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