Critique | Livres

[le livre de la semaine] Par le trou de la serrure, de Harry Crews: le roi du K.O.

© BYRON CREWS
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Un recueil réunit des reportages au long cours écrits par Harry Crews dans les années 80 ainsi que des textes à caractère autobiographique. Mordant.

Auteur d’une bonne quinzaine de romans, Harry Crews (1935-2012) s’est employé, du Chanteur de Gospel à Body en passant par Le roi du K.O., à passer l’Amérique au scalpel d’une écriture dure et crue, en laminant au passage la bonne conscience (sans même parler d’un rêve depuis longtemps dévoyé). Le genre, par exemple, à relater dans Car, près de 40 ans avant Titane, une histoire d’amour dévorante entre un homme et sa voiture, passion possessive qui va l’amener à la manger morceau après morceau, manière, au-delà de l’argument initial, d’instruire une critique acide de la société de consommation. Crews avait la plume féroce, mais aussi lucide et pourquoi pas sensible, comme il ressort aujourd’hui de Par le trou de la serrure, un recueil posthume réunissant des reportages écrits dans les années 80 pour des titres comme Rolling Stone, Esquire ou Fame. À quoi s’ajoutent d’autres textes à caractère plus autobiographique, où l’écrivain évoque notamment son enfance dans ce Sud profond -il avait grandi dans le comté de Bacon, en Géorgie- où est ancrée son oeuvre.

Qu’il convoque ses souvenirs personnels ou qu’il brosse le portrait de l’Amérique des années 80 en creux de ses nombreuses rencontres, la justesse du regard de Crews ne se dément pas. Une pensée pour les mulets alors qu’il transite à Ashburn l’amène, par exemple, dans Réminiscences d’un maquignon aveugle, à cette observation: « En 1930, il y avait un demi-million de mulets dans l’État de Géorgie. Aujourd’hui, il faudrait un détective privé pour en trouver un. J’ai lentement tourné la tête et là, de l’autre côté de la rue, se trouvait un petit bâtiment en parpaings avec un large portail en bois. Sur le portail, les lettres étaient un peu effacées mais encore lisibles: « SHINGLER MULE CO. Fondée en 1900″. Le bâtiment était attenant à un grand magasin en verre et en brique. À un jet de pierre se trouvait une belle banque moderne. Tout autour de la Shingler Mule Company se trouvait ce que le Sud essayait de devenir. Et là, coincé au milieu de tout ça, il y avait ce que le Sud tâchait d’oublier avoir jamais été. »

C’est toutefois dans le portrait au long cours que Harry Crews excelle, et les pages qu’il consacre à David Ernest Duke, leader propre sur lui du Ku Klux Klan, au télévangéliste Jerry Falwell, ou à Sean Penn et Madonna, qu’il accompagne à Atlanta pour le match de boxe opposant Mike Tyson à Michael Spinks en 1988, comptent parmi les meilleures de ce recueil, le trait y étant aussi inspiré qu’incisif. Ainsi, quand il scanne la « Material Girl »: « Attendre, elle ne connaît pas; plus tard, elle ne connaît pas. Ce qu’elle connaît, c’est maintenant » Ce qui lui vaudra, incidemment, ce commentaire admiratif de Sean Penn: « Mec, tu l’as bien croquée« . On ne saurait mieux dire…

Par le trou de la serrure

De Harry Crews, Éditions Finitude, Traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard, 352 pages. ****

[le livre de la semaine] Par le trou de la serrure, de Harry Crews: le roi du K.O.

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