Critique | Livres

[La BD de la semaine] Love story à l’iranienne, de Jane Deuxard et Deloupy

© Delcourt/Mirages
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Pas facile de s’aimer lorsqu’on est jeunes et iraniens. Des journalistes « undercover » ont recensé des témoignages sur place, mis en dessin ici.

Ils s’appellent Gila, Mila, Zeinab, Wahid, Saeedeh, Saviosh, Ashem, Nima… Et Jane Deuxard les a rencontrés dans la plupart des grandes villes iraniennes, le plus souvent dans des parcs publics ou en voiture, là où a priori personne d’autre ne pouvait les entendre. Jane Deuxard elle-même n’existe pas: derrière ce pseudo se cachent deux journalistes qui entendent bien rester anonymes, pour continuer d’enquêter dans l’Iran d’aujourd’hui -chose quasiment impossible depuis les manifestations de 2009 et l’exil de la plupart des journalistes étrangers. Or, aujourd’hui, en Iran, l’amour reste un sujet délicat, autant à vivre qu’à raconter: entre les mariages arrangés, l’énorme pression familiale et sociale, les contrôles policiers ou médicaux et l’énorme poids des interdits -dans la république islamique, les femmes ont l’obligation de porter le voile et une veste trois-quarts en public, ne peuvent pas boire, fumer, fréquenter des hommes et encore moins coucher avec, sous peine d’emprisonnement et de bastonnade-, l’amour et le sexe n’ont guère voix au chapitre. Un monde dans le monde, que les récents accords autour du nucléaire et le retour du pays sur la scène internationale risqueraient d’occulter: si le temps de la politique internationale de l’Iran semble être au dégel depuis l’arrivée au pouvoir d’Hassan Rohani, il n’en est rien à l’intérieur de ses frontières, où les moeurs restent cadenassées, et la jeunesse en mal de liberté. Du point de vue occidental du moins.

Paradoxes iraniens

[La BD de la semaine] Love story à l'iranienne, de Jane Deuxard et Deloupy

Car les témoignages glanés par les enquêteurs et mis en scène par Deloupy font entendre d’autres voix, plus complexes: celle de ces jeunes hommes qui manifestent contre le régime des mollahs, mais qui réclament quand même des mariages arrangés, ou celle de Zeinab qui préfère sa vie, dissolue mais clandestine, à celle des Occidentales -« Certes, on nous interdit peut-être pas mal de choses, il n’empêche qu’on a une vie beaucoup plus agréable que la tienne. Toi, tu es quasiment obligée de travailler. Ici, ce sont les hommes qui doivent rapporter l’argent« -, et ce, même si elle passe sa vie à contourner les contrôles de sa famille et se ruine en tests de grossesse. Une réalité contrastée que Deloupy, jusqu’ici surtout connu pour ses illustrations jeunesse, a réussi à matérialiser dans un « vrai » album de BD, mettant de l’image là où l’on ne pouvait pas en prendre -« C’est une des grandes forces de la bande dessinée, et ce qui a convaincu les journalistes d’utiliser ce médium, nous expliquait récemment le dessinateur, qui n’a jamais mis un pied en Iran. On n’est pas face à des personnages de fiction, mais face à de vraies gens qu’il s’agissait surtout de ne pas trahir. Ce n’est pas un livre facile, mais utile. »

DE JANE DEUXARD ET DELOUPY, ÉDITIONS DELCOURT/MIRAGES, 144 PAGES.

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