Emmuré, par Sophie De Vreese

Les 12 meilleurs candidats du concours de nouvelles sur le thème du Mur organisé par Le Vif et Focus ont été conviés à un atelier animé par Simon Johannin, lors de la dernière Foire du livre.

Depuis des heures, fixer les murs gris, délavés à trop les regarder, en attendant qu’elle revienne… ça faisait maintenant longtemps qu’elle l’avait quitté, il se sentait comme diminué, affaibli par quelque chose d’externe, il ne parvenait plus à clarifier ses pensées et sa mémoire semblait lui jouer des tours depuis qu’il ne sortait plus, abandonné par l’inspiration. Elle l’avait quitté du jour au lendemain, ça lui était tombé dessus sans crier gare, depuis fini, plus aucune ligne écrite. Avec ces murs gris comme seules perspectives car il avait décidé qu’il ne sortirait plus tant qu’il n’aurait pas écrit au moins quelques lignes, tant qu’il n’aurait pas ne fut-ce qu’une idée. Il se souvenait d’avant, de la vitesse à laquelle les idées, toujours machiavéliques, lui venaient en tête, et il élaborait les plans structurés de ses nouvelles histoires, sûr qu’elles feraient mouche auprès de ses fans. Ils aimaient ça, les ambiances glauques, les meurtres prémédités, organisés avec le soin et la perfection des grands tueurs en série. Ses héros étaient des martyrs aux mains d’un fou furieux, psychopathe qui comme un chat jouait à faire souffrir sa proie, attendant qu’elle soit à deux doigts de trépasser pour lui laisser un répit, encore et encore pour au final l’abandonner à une lente mais certaine agonie. On parlait de lui dans la presse, on imaginait ses prochains scénarios, on les craignait même se demandant de quelle nouvelle monstruosité serait capable son nouvel héros. Mais ça c’était avant. Depuis c’était ce mur et le silence, avec l’écho dans sa tête et parfois comme des bruits au loin, peut-être des cris de la rue… Impossible de savoir car il y a longtemps qu’il n’allait plus à la fenêtre… il fixait les murs qui lui renvoyaient l’image d’une page blanche, son syndrome parmi d’autres… La page blanche et le mur gris comme unique perspective mais il y croyait à sa future renaissance. C’était normal pour un artiste, un maître, de connaître des moments de doute, il était dans la traversée du désert mais il savait que tôt ou tard, il se passerait à nouveau quelque chose… Les fissures du mur étaient sa seule distraction, il était temps qu’il appelle un maçon, un homme de métier pour réparer cela, mais on avait beau crier et s’énerver, ces gens-là n’étaient pas sérieux et travaillaient quand bon leur semblait, il allait venir mais quand ? Le réparer lui-même? Il y avait pensé après tout il n’avait pas grand-chose à faire ici mais c’était tomber bien bas, moi c’était pour le grand art qu’il se sentait fait, avec sa dextérité digne des plus grands chirurgiens, il laissait donc ces besognes ingrates à ceux qui ne savaient faire que ça. Il n’aimait pas beaucoup les hommes à vrai dire, ils lui inspiraient davantage le dégoût que la compassion, il détestait leur façon de crier, de toujours avoir l’air de se débattre, cette grossièreté qu’ils revendiquaient et il faisait plutôt partie de ces gens qui aiment davantage les morts que les vivants. Seule la mort conférait la grâce à l’humain, le visage détendu et immortalisé pour toujours dans une mimique de douleur ou le rictus de la mort cynique. L’oeil éteint qui vous fixe l’avait cependant toujours interpellé, ainsi que la chevelure, la seule inchangée après la mort, et qui devenait alors le témoin qu’il y avait eu qui avait eu de la vie. Cela pouvait paraître un peu glauque comme considération, mais dans le fond, c’était son fond de commerce. On ne reprochait pas à un croque-mort de travailler pour la mort. Quant à lui, il l’abordait différemment, il la vivait pleinement, violemment, avec excitation mêlée d’angoisse à travers les histoires qu’il racontait. Et les gens aimaient ça!

Lorsqu’un jour, le maçon arriva enfin, il n’y croyait plus, il s’étonnait de voir un maçon sans truelle ni ciment mais il ne s’intéressait guère à ces bassesses et comme il parlait peu, il décida d’ignorer l’homme, tout de même satisfait au fond de lui qu’il daigne enfin se présenter. L’ouvrier remua en lui des souvenirs confus, peut-être l’avait-il déjà vu? Celui-ci semblait s’affairer mais tardait à s’occuper du mur et des fissures, il y en avait tout de même beaucoup, comment n’avait-il pas vu ça plus tôt? A présent, elles l’obsédaient! Les autres jours, peut-être trop las, il s’y était habitué, mais la présence d’un humain à son chevet, car il vivait finalement comme en quarantaine et c’était de sa faute, semblait raviver des tensions dans sa chair. La présence de cet homme lui inspirait du dégoût, il le mettait mal à l’aise, même si celui-ci l’ignorait, il sentait une crainte mêlée à l’apparente indifférence. Il ne lui parlait pas car il en était incapable, pourtant il aurait soudain voulu lui adresser quelques mots, c’était souvent comme cela que l’inspiration lui était venue, il rencontrait des gens, sentait l’hostilité monter en lui, et basculait dans une fiction digne des meilleurs films d’horreur. Mais maintenant tout était différent et il était faible, qu’est-ce qui pouvait bien le mettre dans cet état de semi-léthargie? Il pensait alors à ce qu’il aurait pu imaginer avant: un coup sur la tête, l’homme au sol, soumis alors à tous ses fantasmes, de nouvelles manières de chatouiller la mort et de tester les limites du corps humain, une merveilleuse machine qui ne cessait de d’impressionner. Il restait si près de lui qu’il pouvait même sentir son haleine acide, il était vêtu de blanc et ganté, cela ne lui avait pas paru bizarre tout de suite, les moeurs changeaient et sans doute qu’aujourd’hui les maçons ne voulaient plus se salir les mains, ou ne plus laisser de traces… Perdu dans ses spéculations, il sursauta, indigné lorsqu’il vit le maçon se pencher sur lui! Mais que faisait-il? Allait-il le laisser tranquille et réparer oui ou non ces maudites lignes, responsables, il en était convaincu, de son inaction, de sa paralysie? Tout en se penchant, le regard noir, l’homme sortit un stylo et prononça des paroles inintelligibles… Peut-être voulait-il un autographe? Il en avait signé autrefois au moment de la gloire, quand on parlait de lui dans les journaux, mais dorénavant il ne sortait plus et il y avait bien longtemps qu’il avait rencontré des fans. Il perdit patience et s’apprêta à lui sommer de se mettre enfin au boulot, lorsqu’il réalisa que ce qu’il avait pris pour un bic était visiblement plus fin, il s’agissait d’une aiguille qui lui traversa la peau, la chair, la paroi de la veine et l’envoya en enfer.

Fait divers:

Dans la nuit de dimanche à lundi, le patient Dimitri Gill, connu pour être le plus grand tueur en série du siècle, qui séjournait à l’hôpital psychiatrique Saint-Pierre à Bruxelles, a été tué, empoisonné par une personne identifiée par les caméras de surveillance comme étant le compagnon de la dernière victime du monstre. La vengeance serait le motif du crime même si cela reste à confirmer, selon le parquet de Bruxelles. Emprisonné en cellule matelassée depuis 2005, le grand psychopathe n’avait plus de contacts avec l’extérieur à l’exception du personnel de l’hôpital. Il était connu pour être l’auteur des crimes les plus violents qui se terminaient toujours par l’emmurement des pauvres victimes mutilées et scalpées. On se souvient encore de l’effroi du pays lors de la découverte de ce mur de l’horreur, qu’il considérait être son oeuvre, 8 hommes, 9 femmes et 3 enfants y avaient perdu la vie. On pourrait penser que personne ne regrettera la mort du plus grand criminel du siècle et pourtant, le personnel de l’institut témoigne des nombreuses lettres d’admiration qu’il recevait encore quotidiennement. Une enquête sera menée pour comprendre comment l’homme a pu s’introduire auprès du psychopathe sous haute surveillance. L’histoire se rappellera longtemps de ce criminel, surnommé L’écrivain qui a toujours nié être l’auteur des crimes mais juste l’auteur des scénarios.

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