« Dernières nouvelles et autres nouvelles »: Vollmann revient avec un flamboyant recueil sur la mort

Vollmann réveille les morts dans une prose littéralement habitée. © BELGAIMAGE

L’immense William T. Vollmann est de retour en français, avec un flamboyant recueil de nouvelles baroques sur le thème de la mort. Pour la dernière fois?

« Ceci est mon dernier livre. Toute publication ultérieure portant mon nom sera l’oeuvre d’un fantôme« , prévient l’auteur en introduction . Attendez un instant… Dernières nouvelles et autres nouvelles a été publié en 2014 aux États-Unis. Entre-temps, un essai sur le réchauffement climatique, puis un nouveau roman édité l’an passé (The Lucky Star) ont bel et bien été signés William T…

On n’avait pas anticipé la nécrologie, mais allons-y. Entre ici, William Tanner Vollmann, avec ton terrible cortège de prostituées désespérées, de braves soldats, de hobos solidaires et de vampires amoureux… Entre autres événements marquants d’une vie sacrément remplie, après l’équivalent d’un bac artistique, il part en Afghanistan où il partage la vie des moudjahidines (il en tirera un essai, évidemment). Mais son premier livre, Les Anges radieux, publié en 1987, est un roman de science-fiction à la prose déjà torrentielle et venimeuse.

Puis, bien avant que cela ne devienne un nouveau rayon dans nos librairies, il pratique assidûment ce qu’on appelle la « narrative non-fiction ». Les canards les plus prestigieux (Harper’s Magazine, Playboy, The New Yorker, etc.) se bousculent pour le compter dans leurs pages. Comme Hunter S. Thompson ou Ted Conover, il s’implique énormément dans ses reportages, couvre des guerres, attrape la dysenterie au passage, se frotte aux radiations de Fukushima… Aux premières loges pendant la guerre en ex-Yougoslavie, il en tirera notamment l’un de ses projets les plus impressionnants, Le Livre des violences, soit plus de 3 000 pages (seulement 1 000 en français) dans lesquelles il théorise sur la violence. Car l’Américain ne fait aucune concession: une série de trois livres est ainsi intitulée La Trilogie de la prostitution, une de ses obsessions -en reportage en Thaïlande, il achètera une prostituée pour « la sauver ».

À tout hasard, on réactualise frénétiquement la page Wikipédia du grand auteur californien. Rien: Vollmann serait toujours en vie… Continuons. En 2005, il remporte le National Book Award avec Central Europe. Hitler et Staline y côtoient le compositeur Dmitri Chostakovitch dans une fresque tentaculaire à la prose virtuose. Mais qu’il fasse du journalisme, publie des essais ou des romans, Vollmann est un écrivain au sens premier du terme: il écrit. Point. Il écrit tant que, alors jeune auteur, le non moins étonnant David Foster Wallace, pourtant lui aussi auteur d’énormes pavés, avouera en interview ressentir « un complexe d’infériorité » à l’égard de son compatriote. Toujours attifé de parkas informes, Vollmann ne sera, certes, jamais aussi cool que feu l’écrivain au bandana, mais on retrouve chez ces deux producteurs de prose exigeante et monstrueuse la même érudition et la même propension à l’excès.

Americana littéraire

Constamment à l’ouvrage -et sur plusieurs projets à la fois-, il creuse aussi, dans les pas des plus grands, le sillon d’une sorte d’Americana littéraire. Ressorti en Poche pour accompagner Dernières nouvelles et autres nouvelles, Le Grand Partouts’inscrit dans cette tradition et raconte l’Amérique des crasseux et légendaires hobos -à hauteur de wagon à bétail. Dans le même goût et dès 1990, il initiera le cycle Seven Dreams. Cette série de livres tente de retracer l’Histoire des États-Unis à travers les luttes entre indigènes et colons. Un travail titanesque pas si éloigné de projets tout aussi déraisonnablement ambitieux issus d’autres disciplines, comme l’inachevé 50 States Project de Sufjan Stevens (le songwriter a un jour promis un album pour chaque État des USA). Vollmann a déjà publié cinq des Seven Dreams (quand le compteur de Stevens reste officiellement bloqué à deux).

Essai sociologique sur la pauvreté (Pourquoi êtes-vous pauvres?), sur Copernic ou le théâtre japonais nô (une autre de ses fixettes), Vollmann sait tout faire. Parfois, il écrit de la poésie, ou se met à la peinture. Il donne même dans la photo, et publiera un livre de textes et de photographies où on le découvre en travesti (The Book of Dolores), façon Marcel Duchamp en Rrose Sélavy… Qui aujourd’hui peut se targuer d’afficher une oeuvre aussi protéiforme? En attendant qu’il se lance dans une carrière de marionnettiste, il nous revient avec ces nouvelles fantastiques sur le thème de la mort.

Vollmann y convie fantômes, vampires, villageois en colère avec fourche à la main, couple maudit au destin shakespearien et autres freaks dans, oui, une « monstrueuse parade ». Il traverse les époques et le globe (Roumanie, Bosnie, Japon, Norvège…), fait sien les folklores de chaque région mentionnée -et réveille les morts!- dans une prose littéralement habitée. Ce fan de Lautréamont répand une poésie morbide dans « des clairières de souvenirs irrégulièrement illuminées« . Ici, au temps de l’Inquisition, un paysan qui ne peut se séparer de sa femme morte-vivante, désormais vampire; là, un homme mourant, de nos jours, qui choisit de retrouver son premier amour, morte depuis des lustres. Plus réalistes, les textes sur la guerre en ex-Yougoslavie sont parmi les plus beaux. Les plus autobiographiques aussi, tant le Sacramentin y a crapahuté, jusqu’à la ligne de front et ses horreurs…

On imagine désormais William T. Vollmann en fantôme à drap blanc, tourmentant quelques agents du FBI en guise de représailles pour l’avoir traqué et soupçonné (à tort) d’être le terroriste Unabomber (véridique!).  » S’il s’agit de littérature, les lecteurs n’ont pas besoin de savoir ce qui est vrai et ce qui est faux« , clama-t-il un jour dans Les Inrocks. On est perdu. Nous en serions-nous fait accroire? C’en est presque dommage, finir sur ces Dernières nouvelles n’aurait pas manqué de panache.

Dernières nouvelles et autres nouvelles, de William T. Vollmann, traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Demarty, Éditions Actes Sud, 896 pages.****(*)

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