Craig Johnson: welcome to the wild wild West

Bienvenue au Wyoming façon Craig Johnson, ses hautes plaines à perte de vue, ses horizons battus par les vents, ses rêves nomades et son taux de criminalité exemplaire. À condition de ne pas exciter l’âme des vieux cheyennes qui y hantent les armes à feu…

Il y a des dédicaces de romans qui savent décidément dresser l’ambiance. Celle de Little Bird, tout premier polar de Craig Johnson, est de celles-là: « A la gagnante du concours de beauté des producteurs de lait de Wayne County et au meilleur tireur de Cabell. » Un avant-goût qui sent bon le coeur reculé et un peu redneck de l’ouest profond. Où rencontrer âme qui vive entre 2 immensités tient du hasard. Presque de l’anachronisme. A l’image de ces rares motels déposés au milieu de nulle part. « Je vis dans le comté le moins peuplé de l’Etat le moins peuplé des Etats-Unis. C’est tellement extrême. J’ai beaucoup moins de gens avec qui interagir que n’importe quel écrivain. » Stetson vissé sur la tête, jeans rentré dans des santiags au cuir tanné, Craig Johnson est un cow-boy qui dégaine plus volontiers le stylo que le colt. Et dont l’apparition détonne quelque peu dans l’antre de l’hôtel Renaissance française où on le rencontre. « Vous savez, c’est plutôt agréable pour moi d’être remarqué », relèvera-t-il dans un grand rire sonore. Charpentier, pêcheur professionnel, policier, champion de rodéo sur taureaux, Johnson a tout vécu avant de passer à l’écriture. Aujourd’hui auteur d’une série de 7 romans -3 sont parus en français aux éditions Gallmeister, dont le récent L’Indien Blanc-, l’homme s’est échappé de son ranch basé sur les contreforts des puissantes Big Horn Mountains et a délaissé les 25 habitants de sa petite ville d’Ucross pour un bref séjour européen. « Quand je viens de ce côté-ci, j’ai tendance à comparer les pays que je traverse à des peintures à l’huile très belles, luxuriantes, extrêmement raffinées, et à trouver qu’à côté de ça, le Wyoming, c’est un croquis au fusain, beaucoup plus brut, en noir et blanc. »

Un crayonné auquel son écriture travaille inlassablement, rendant à s’y méprendre les vapeurs crues et solitaires des petits matins humides, la beauté d’un ciel de démesure, la texture pierreuse de vents affolants.

Bienvenue à Absaroka, le comté -fictif- sur lequel s’étend la justice de Walt Longmire, héros récurrent des livres de Craig Johnson, veste en peau de mouton bourrue et sil-houette ventripotente, Sherlock Holmes des Hautes Plaines affublé d’autodénigrement chronique en même temps que doté d’un charme impénétrable et diffus. Un shérif qui dévisse les capsules de bières à la chaîne en cas de mélancolie, et qui voit son bureau situé à l’exacte croisée des puissantes Big Horn Mountains et de la Powder River.

Nature writing

Résoudre d’infâmes enquêtes criminelles sous une vue dont la beauté vous étreint régulièrement la gorge: tout est là du double jeu qu’emprunte Johnson, dont les polars mordent régulièrement la ligne d’un autre genre, le nature writing -ou littérature des grands espaces. Une émulsion qui culmine dans les scènes de meurtre, où l’équipe de Walt étudie la qualité de la neige et la teneur du vent à peu près au même titre que le degré de rigor mortis du cadavre. « Le Wyoming est un endroit d’extrêmes, les conditions climatiques y sont envahissantes: il fait impitoyable en hiver, brûlant en été, l’altitude est vertigineuse, le vent incessant. C’est une dimension tellement constitutive de la région qu’on ne peut l’ignorer. Mon personnage est le reflet du monde naturel qui l’entoure. L’environnement est presque une personnification de ses propres réflexions et sentiments. » Une ligne de conduite que ne renieraient pas ses voisins et maîtres de l' »Ecole du Montana », Jim Harrison, Thomas McGuane ou James Lee Burke en tête. « D’où qu’ils viennent, les auteurs qui écrivent dans l’ouest sont des gens qui sont au milieu de nulle part parce qu’ils y cherchent quelque chose. Ce ne sont pas des écrivains qui peuvent aller discuter de l’avancée de leur roman le matin au café du coin, ils sont plutôt isolés et solitaires, et ça se retrouve fatalement dans leurs livres. »

Le Wyoming a beau être ce « Far Far West » particulièrement déplumé dont s’amuse Johnson, le père de Walt n’en consacre pas moins une attention extrêmement généreuse à la nature humaine. « Une des grandes erreurs à propos de l’ouest, c’est cette mythologie qui s’est bâtie à propos de personnages imperturbables à la John Wayne qui ne s’occupent que d’eux-mêmes. Dans les villes, il y a tant de ressources qu’on peut vivre seul et anonyme toute sa vie; alors que dans le Wyoming, en pleine zone rurale, c’est une réelle surprise de tomber sur quelqu’un. On accorde d’autant plus d’importance à l’aspect communautaire qu’il y a ce grand vide tout autour. » Et le wrangler des lettres d’avancer la bonne influence qu’a sur lui la fréquentation régulière des « social writers » -les Victor Hugo, Dickens, Steinbeck: « Ce que j’aime chez eux, c’est cette capacité à raconter des grandes histoires avec une petite histoire, à embrasser des thèmes comme la justice, la vérité, la liberté, la vie -des mots qui ne veulent pas dire grand-chose si on n’arrive pas à leur accorder une attention spécifique à travers un récit. » Une attention qui a logiquement fait son chemin au moment de modeler son héros. « J’ai choisi un shérif parce que c’est une icône de l’ouest, mais surtout parce que c’est le seul représentant de la loi qui soit élu aux USA. Il ne peut dès lors pas se contenter de tracer dans son gros truck avec des lunettes noires sans jeter un regard aux gens sur sa route: il doit sortir de sa voiture, aller à la rencontre de ses électeurs, identifier les problèmes. Il doit sans cesse être tourné vers les autres. » Et l’ex-policier d’y souligner un point de rencontre avec le métier d’écrivain: « Dans les 2 cas, il y a cette capacité à observer la nature humaine: ça peut vous sauver la vie en tant que shérif; c’est aussi ce qui vous maintient en vie quand vous écrivez. On écrit aussi pour rester vivant. »

Loin de John Ford

Une empathie qu’il poursuit de l’autre coté de la frontière de la réserve indienne qui jouxte Absaroka. « Dans le comté où je vis, les Blancs sont arrivés il y a moins de 200 ans alors que les Indiens sont là depuis des milliers d’années et la moindre des choses quand on débarque dans un pays, c’est de prêter attention à ceux qui étaient là avant. Quand on parle des Indiens aujourd’hui, on met en avant les taux de chômage, d’alcoolisme dans les réserves. Je refuse d’en rester aux chiffres. Je pense bien loin des clichés à la John Ford et c’est, je crois, la raison pour laquelle mes livres sont lus dans les réserves. » Comme pour démentir la si forte teneur en Wyoming essentielle à ses histoires précédentes, Johnson, dans son dernier roman L’Indien Blanc, exporte ses personnages et leur fait pénétrer le rythme effréné des rues de Philadelphie. Un changement de cap des plus inattendus: « C’était un prétexte pour explorer mes personnages, pour faire évoluer un cow-boy et un Indien à l’est. Ça m’a permis de faire advenir des choses qui n’auraient jamais vu le jour dans le Wyoming. Ça m’a fait écrire ma première scène de sexe, c’était assez effrayant (rires). » Et l’écrivain de prouver qu’il tient bel et bien son univers, capable de remettre en jeu avec une égale saveur, sous les lumières artificielles de la ville, les réflexes et conforts romanesques acquis sur ses terres natales. « Les Américains s’attendent toujours à des choses très convenues et moi j’aime surprendre. C’est l’une des meilleures choses qu’on puisse faire en littérature. C’est vrai des personnages de romans comme des amis d’une vie: il faut qu’ils gardent leur capacité à vous surprendre. » Et le western de trouver son issue, le doux rancher de regagner ses contrées austères. Sans forcément souscrire -on l’aura compris- aux facilités d’un final en forme de chevauchée solitaire au soleil couchant…

Rencontre Ysaline Parisis

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