Critique | Livres

Chronique livre: Ken Kesey – Et quelquefois j’ai comme une grande idée

Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

ROMAN FLEUVE | L’icône US Ken Kesey voit son chef-d’oeuvre enfin traduit. Un grand roman plein de bruit et de fureur, baignant dans l’Oregon humide et vengeur des pionniers.

Chronique livre: Ken Kesey - Et quelquefois j'ai comme une grande idée

« C’est un chef-d’oeuvre. Et un incroyable scoop: on ne trouve plus de livres comme ça aujourd’hui! C’est un peu comme découvrir Dos Passos, Faulkner ou Hemingway! » Quand on le rencontre pour la sortie de Et quelquefois j’ai comme une grande idée, les yeux de Dominique Bordes roulent des airs démoniaques. Et pour cause: l’éditeur de Monsieur Toussaint Louverture (lire son portrait dans le Focus du 22 novembre) vient de racheter un incompréhensible oubli éditorial en publiant ce roman culte des US sixties, vrai inédit en français dans le texte. Son auteur? Ken Kesey (1935-2001). Pas un sombre inconnu ici –Vol au-dessus d’un nid de coucou, le roman qui a inspiré le film de Forman, c’est lui-, mais un authentique gourou de l’autre côté de l’Atlantique: avec ses Merry Pranksters, bande de proto-hippies itinérante et adepte du LSD, Kesey est considéré comme la légende qui a ouvert les portes de la perception des Américains, et lancé rien moins que le psychédélisme -sur Twitter, aux States, une citation de Kesey est postée toutes les heures.

Sur le pont

A côté de la conduite des acid-tests, Kesey aura mené à bien des romans complexes, épousé son amour de jeunesse et élevé quatre enfants dans la culture de la terre. C’est là tout le mythe du personnage, anticonformiste offensif autant que défenseur des sacro-saintes valeurs de la nation. Et quelquefois…, son 2e roman et grand-oeuvre, est à l’image de cette schizophrénie bien digérée, roman d’avant-garde limite expérimental, en même temps que grande épopée à l’américaine à lire au coin du feu.

Bienvenue à Wakonda, communauté forestière de l’Oregon, petite société de bûcherons trapus et rougeauds adeptes du caleçon long et des sermons à la guitare électrique. Un univers dantesque suintant la beauté brute, la boue et la sauvagerie des origines, charpenté autour d’un fleuve torrentiel et du redouté clan Stamper: Henry, « vieux fou de la forêt » et patriarche du clan, et ses deux fils ennemis, comme deux modèles US: Hank, pur redneck coriace, et Leeland, fumeur d’herbe toujours fourré dans les livres, qui débarque de Yale après des années d’absence pour cueillir sa vengeance. La guerre froide se cristallisera autour de la personne de Viv, sublime et sensible épouse de Hank, bientôt convoitée par Lee…

Ainsi posée, la saga est terrienne, tragique, steinbeckienne. Mais Kesey la travaille au LSD. Le romancier psyché se permet tout: changer constamment de points de vue, interrompre son récit pour donner un cours sur le débardage, ou offrir les monologues en simultané de bougres du coin. Au fil de 800 pages sous dictée faulknérienne, le récit, bouillonnant, diluvien, submerge. Et nous laisse abasourdi, essoré, avec l’impression trouble d’avoir pris part à un pan de pré-histoire américaine. Seule et unique condition: tenir l’incroyable flot keseyien. Henry Stamper vous le dirait: « Dans l’Oregon, faut tout le temps être sur le pont. »

  • DE KEN KESEY, ÉDITIONS MONSIEUR TOUSSAINT LOUVERTURE, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR ANTOINE CAZÉ, 800 PAGES.

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