BD: le 4e âge pète la forme

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Qui l’eût cru (avant le confinement)? La vieillesse est devenue le sujet à la mode en bande dessinée. Une tendance hétéroclite qui va du gag à l’empathie, mais qui se rejoint dans une même ambition: changer le regard sur les aînés.

Ce n’est plus de l’amour, c’est de la rage: il n’y en a plus que pour les vieux dans l’actualité de la bande dessinée! Le temps qu’on se demande si une tendance n’était pas en train de naître après avoir lu, entre autres, Ne m’oublie pas (dans lequel la jeune Clémence s’enfuit avec sa grand-mère atteinte d’Alzheimer), Malgré tout (une old love story entre sexagénaires) ou le sixième tome des Vieux Fourneaux (avec sa bande de papys hâbleurs) que d’autres albums tamponnés « 3e et 4e âges » s’invitaient dans notre pile de nouveautés: humour noir et féroce avec #lesmémés ou Anatole et Léontine, action musclée malgré l’arthrose dans la minisérie Vadim ou complètement déjantée dans Octofight, émotions dans Le Plongeon, avec Yvonne qui s’ échappe de sa maison de repos…

BD: le 4e âge pète la forme
© éditions glénat

Même le Chinaman de Taduc et Le Tendre, héros viril et récurrent de l’écurie Dupuis, s’offre un dernier album de prestige dans la collection Aire libre, après avoir été vieilli de plus de dix ans, pour un western désormais crépusculaire et plus douloureux aux articulations! Force est de constater que la vieillesse, longtemps invisibilisée ou dédramatisée, a quitté les seconds rôles pour devenir un véritable argument de vente et un sujet dont on parle. Et qu’on explore désormais à foison en bédé, au carrefour d’autres tendances.

« Un nouveau genre de vieux »

Les personnes âgées ont évidemment toujours fait partie du décor des bandes dessinées populaires, que ce soit avec émotion et bienveillance (superbe Mamy dans le Jojo d’André Geerts) ou humour (le grand-père Jules de Cédric, le pépé très vert du Petit Spirou), mais toujours dans des seconds rôles plutôt clichés, entre vieux fous et gentilles vieilles dames, utilisés comme des ressorts plus que des sujets – on ne se souvient guère que de la série Les Pensionnaires de Gabrion, dans les années 1980, à avoir fait du home et de la fin de vie un thème central et récurrent, qu’il faille en rire ou en pleurer. Mais ça, c’était avant que le lectorat BD ne se mette, lui aussi, globalement à vieillir autant qu’à se diversifier, et surtout, avant que les canicules, puis la Covid, puis le confinement ne remettent le sort des plus âgés sur le devant dramatique de la scène.

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© éditions Dargaud

Wilfrid Lupano a été un des premiers, comme il nous l’a lui-même expliqué, à « inventer un nouveau genre de vieux », avec ses Vieux Fourneaux, série humoristique entamée avec Paul Cauuet en 2014, et avec, pour personnages principaux, trois septuagénaires pas toujours politiquement corrects. « Avant nous il y avait bien sûr eu Carmen Cru ou Pervers Pépère, mais dans les Vieux Fourneaux, ce ne sont pas des vieux dont on se moque. Vous riez avec, mais vous ne riez pas d’eux, et ça change tout. J’y suis venu en cherchant des sujets, en regardant les linéaires, la proposition. En tant qu’auteur en temps de surproduction, pour ajouter un bouquin là-dedans, il ne faut pas qu’il ressemble aux cinq d’avant et aux cinq d’après. Or, sur cette génération, et de cette manière, il n’y avait plus rien. »

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© le Lombard

Un coup d’essai devenu coup de maître et, à chaque nouvel album, une des grosses ventes de l’année; la série a par ailleurs déjà fait l’objet d’une adaptation au cinéma en 2018 avec Pierre Richard, Roland Giraud et Eddy Mitchell dans la peau des vieux premiers. Depuis, les séries humoristiques mettant en avant de vieux héros ou antihéros se multiplient: « C’est sûr que des BD sur les vieux, j’en ai vu beaucoup par après! Ça m’a un peu énervé, ça ne m’énerve plus: il vaut mieux être suivi que suivant, comme disait Brel. »

Dans Ne m'oublie pas, Alix Garin s'empare du sujet douloureux d'Alzheimer. Mais elle n'est pas la seule à porter sur la vieillesse un nouveau regard, sans tabous.
Dans Ne m’oublie pas, Alix Garin s’empare du sujet douloureux d’Alzheimer. Mais elle n’est pas la seule à porter sur la vieillesse un nouveau regard, sans tabous.

Merci le « female gaze »

Cette tendance éditoriale en a croisé une autre, cette fois vraiment de fond: la féminisation du lectorat, mais aussi et surtout des auteurs, a amené vers la bande dessinée de nouveaux sujets et de nouvelles manières de les raconter, en même temps que les formats explosaient, la BD s’ouvrant largement au roman graphique, à d’autres types de narration et à d’autres thématiques, plus ancrées dans le réel. Le premier album de la jeune Alix Garin, Ne m’oublie pas, aux éditions Le Lombard, est de ce point de vue exemplaire. Voilà une jeune autrice qui n’hésite pas à s’emparer du thème de la maladie d’Alzheimer comme sujet de fond de son ambitieux roman graphique, lui-même teinté de vie privée et d’expériences personnelles: « Ce sujet m’est venu spontanément, j’ai moi-même été très proche de ma grand-mère atteinte d’une maladie semblable. Ce fut très douloureux, et cet album a été une véritable catharsis, même s’il s’agit d’une fiction: je ne l’ai jamais kidnappée! » Et d’expliquer que le female gaze qui s’installe doucement dans la bande dessinée (et qu’on peut traduire par « regard féminin ») « offre de nouveaux regards, de nouvelles sensibilités et de nouveaux sujets en BD », comme celui de la vieillesse, désormais traitée sans tabous. « La BD est un art très récent et en constante évolution, dans lequel les créateurs ne ressentent pas le poids des traditions ou peuvent facilement s’en affranchir. Et aujourd’hui, ça part dans tous les sens, avec une grande maturité qui permet de tout aborder. »

BD: le 4e âge pète la forme

Nos aînés profiteraient donc de cette ouverture d’esprit et de contenus qui est en train de percoler dans toute la bande dessinée pour enfin revenir à l’avant-plan après des décennies de jeunisme. C’est l’Oncle Paul qui sera content.

Bande (dessinée) de vieux

Avec Le Plongeon, le sujet lourd du départ en home devient pourtant un feel good book. Dans un autre genre, Les Vieux Fourneaux (ci- dessous) compte parmi les pionniers de la BD consacrée aux aînés.ÉMOTION

ÉMOTION

Le Plongeon

Par Séverine Vidal et Victor Pinel, Grand Angle, 80 p.

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Cette fois, Yvonne, 80 ans, n’a plus le choix: elle doit quitter sa grande maison pour rejoindre un Ehpad, ces « établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes » devenus tristement célèbres avec la pandémie de Covid. Un sujet lourd donc, qui n’hésite pas à regarder la vieillesse en face, mais dont la scénariste tire pourtant un feel good book rempli autant d’espoirs – Yvonne va s’offrir un dernier voyage, et une dernière love story – que de rides ou d’expériences proches du vécu: Séverine Vidal a mené de nombreux ateliers d’écriture dans les Ehpad de France.

INTIMITÉ

Ne m’oublie pas

Par Alix Garin, Le Lombard, 220 p.

BD: le 4e âge pète la forme

Une des vraies bonnes surprises de ce début d’année: alors que l’on craignait un récit à la fois larmoyant et trop léger à l’image du trait de l’autrice qui ne s’encombre pas trop de décors, on est tombé sous le charme de ce Ne m’oublie pas paradoxalement très dense, souvent bouleversant et très contemporain dans son style et sa manière. Alix Garin pose un regard profond et empathique sur les victimes de la maladie d’Alzheimer sans en faire le sujet vraiment central de ce roman graphique qui frise parfois l’autofiction et dont on sort sans pouvoir oublier, effectivement, la grand-mère de Clémence.

ACTION

Monsieur Vadim

Par Gihef et Morgann Tanco, Grand Angle, 56 p.

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Autre ambiance dans cette nouvelle minisérie en deux tomes que l’on doit au Belge Gihef et au Français Morgann Tanco, lesquels revisitent le thriller d’action et de divertissement en lui ajoutant quelques rhumatismes: pour se sortir de la misère, un légionnaire retraité reprend du service pour le caïd du coin; un vieillard grabataire qui va s’avérer être une arme redoutable! Un peu comme si on regardait Rambo 14 ou John Wick 28, servi par un dessin très dynamique et des dialogues dignes des Tontons Flingueurs. Dans le genre, une réussite.

HUMOUR

Les Vieux Fourneaux T6

Par Wilfrid Lupano et Paul Cauuet, Dargaud, 56 p.

BD: le 4e âge pète la forme

A tout seigneur tout honneur: Pierrot, Mimile et Antoine ont fait beaucoup dans ce changement de regard que la BD pose désormais sur ses aînés. Le succès insolent et a priori improbable de ce trio de bras flasques et cassés – un demi-million d’albums écoulés deux ans après son lancement – a donné d’évidence bien des idées à d’autres. Dans ces cas-là, il faut toujours privilégier l’original aux copies et donc ne pas bouder ce sixième opus baptisé L’Oreille bouchée et dans lequel Mimile invite Pierrot et Antoine au fin fond de la forêt de Guyane! Il y fera chaud sous les Marcel.

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