Paradis des noceurs, Ibiza plie sous le clubbing de masse mais ne rompt pas. Retour sur une île qui a su donner un nouveau visage à la fête.

Ibiza, c’est un coucher de soleil. Non. Ibiza, c’est un lever de soleil. Ou alors tout ce qu’il y a entre les deux… La plage, la mer, la musique, les corps agités, l’hédonisme…

Au départ, il n’est pourtant question que de quelque 500 km2 de terres espagnoles, à 150 km des côtes de Valence. Population locale: 100 000 habitants. Les premiers à s’y être installés, au VIIe siècle, étaient les Phéniciens, qui baptisèrent l’île en hommage au dieu Bès. Un gnome au faciès ratatiné et peu avenant, censé éloigner les esprits malfaisants (certains expliquent ainsi l’absence sur l’île de bestioles vénéneuses). Surtout, Bès est un sacré fêtard, aimant la musique et la danse. Tout s’explique…

U2 à la plage

Ce n’est que le 1er avril 1958 que l’aéroport de l’île a inauguré ses premières lignes régulières. Une vraie révolution. A partir de ce moment-là, le tourisme va devenir petit à petit la principale ressource économique d’Ibiza. Premiers clients: la jet-set mondiale. Les premiers hippies suivent rapidement, ainsi que la communauté gay, mise sous pression par la dictature franquiste, et qui y trouve un climat plus tolérant que sur le « continent ».

Mais ce n’est qu’un peu plus tard, au cours des années 80, qu’Ibiza va réellement se transformer en Mecque des noceurs de tout poil. Wham! vient y tourner le clip de son Club Tropicana. Là « où les boissons sont gratuites, et où il y a du soleil et de l’amusement en suffisance pour tout le monde », chante George Michael dans son sémillant maillot blanc, au bord de la piscine. Freddie Mercury y donne lui-même des fêtes mémorables (on évoque des serveurs nains portant des plateaux sur lesquels s’alignent les lignes de coke).

Musicalement, le voyage est également assuré. Au départ, les nuits d’Ibiza se dansent aussi bien sur du rock progressif que sur du disco, de la soul ou du flamenco. Ce mélange devient rapidement la marque de fabrique locale. Au point de voir naître le terme Balearic, appelé à désigner un genre… qui n’en est pas un. Bill Brewster et Frank Broughton dans Last Night A DJ saved My Life (ed. Headline): « Mal tourné, le Balearic peut sonner comme un set DJ de mariage kitsch. Mais joué correctement, il peut vous faire réentendre des chansons avec une oreille neuve. « Alfredo avait l’habitude de passer l’un ou l’autre titre de U2, comme I Still Haven’t Found What I’m Looking For et With Or Without You, se souvient Johnny Walker (NdlR: célèbre DJ anglais de la BBC). Les entendre à 7 h du matin, alors que le soleil se lève et que vous êtes dans un club en plein air, complètement « chargé » – woaw! -, c’était juste fabuleux . »

José Padilla, éminence des nuits ibiziennes, a son explication pour éclairer ce mix inédit.  » Il fallait jouer avec ce qu’on avait. On devait prester tellement longtemps que l’on était obligé de passer de tout pour y arriver. Ce n’est pas parce qu’à Ibiza on aime particulièrement jouer comme ça. On devait passer Talk Talk, on devait passer de la new beat belge, on devait passer du rock, on devait passer du reggae, parce qu’il fallait bien combler l’espace pendant des heures. »

José Padilla est l’un des DJ le plus emblématiques d’Ibiza. Pape du chill out, c’est à lui que l’on doit la série de compilations Cafe Del Mar – le nom d’une terrasse connue pour offrir l’un des plus beaux couchers de soleil de l’île -, vendues aujourd’hui à des millions d’exemplaires. L’autre roi d’Ibiza reste Alfredo Fiorito, évoqué plus haut. DJ à l’Amnesia, c’est lui qui en fera le berceau de la révolution acid house qui saisira la jeunesse anglaise. Dans un numéro du mensuel Mixmag célébrant les 20 ans de l’acid house, en 2007, Alfredo racontait: « J’ai commencé en 84. On a ouvert en avril et il faisait glacial puisque cela se passait à l’extérieur. Personne ne vint. Pendant des mois, j’ai joué 7 heures de musique pour les serveurs du bar. A la fin d’une nuit, au mois d’août, j’attendais qu’on m’amène ma paie de 5000 pesetas, quand ma copine m’a dit:« Pourquoi tu ne jouerais pas pendant qu’on attend? » . Les gens qui descendaient du Ku (NdlR: autre club fameux de l’île) ont entendu la musique depuis la route, et se sont arrêtés. Ils étaient 100 le premier jour, 500 le deuxième, et au troisième j’ai demandé qu’on rouvre les bars parce que l’endroit était bondé. » Le concept d’after party est né… Ving-cinq ans plus tard, la fête continue sur l’île. Même si elle a changé de ton. Avec la démocratisation des vols charters, le tourisme est devenu de masse, et le clubbing aussi. Les sujets de la Couronne britannique sont toujours les plus enthousiastes: chaque été, les magazines anglais spécialisés consacrent des dizaines de pages aux nuits de l’île. Ibiza s’est imposé comme une marque en soi – et pas que de voiture. Entre-temps, les soirées débridées à la belle étoile ont laissé place aux méga boîtes. Lasses des débordements, les autorités essaient également depuis un moment d’offrir un visage touristique davantage familial. Autre phénomène: le quotidien The Guardian expliquait récemment que devant les prix d’entrées de plus en plus prohibitifs, les jeunes Anglais se détournaient des clubs pour préférer le festival local intitulé… « Ibiza rocks! ». Le visage d’Ibiza se modifie donc. Jusqu’à quel point?… Les habitués assurent qu’il reste des soirées plus aventureuses. Et puis, en juin dernier, une dépêche apprenait l’arrestation du principal fournisseur d’ecstasy du coin. Comme quoi, la légende de l’île la plus méridionale des Baléares vit toujours. Excès compris…

Texte Laurent Hoebrechts

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content