DANS LA CAMPAGNE CALABRAISE, LE RÉALISATEUR ITALIEN MICHELANGELO FRAMMARTINO REDESSINE LE RAPPORT DE L’HOMME À SON ENVIRONNEMENT DANS UNE PERSPECTIVE ANIMISTE. IL SIGNE UN FILM FASCINANT, MUET MAIS ÉLOQUENT…

Dans un cinéma transalpin dont le renouveau n’en finit pas de se vérifier, Michelangelo Frammartino compte assurément parmi les voix les plus singulières. Originaire de Milan, c’est dans le sud que ce jeune quadra a choisi de planter sa caméra, la Calabre offrant son horizon à ses 2 longs métrages: Il dono, tourné il y a 7 ans déjà, et Le quattro volte, présenté à Cannes en mai dernier, à la Quinzaine des réalisateurs. Outre leur cadre, rural, les 2 films ont en commun une même exigence esthétique -soit autant d’£uvres contemplatives, de peu voire de pas de mots. Une sécheresse apparente par laquelle on aurait tort de se laisser décourager toutefois: de l’aridité surgit un propos universel, en forme d’exploration originale du rapport de l’homme à son environnement, thème embrassé par Le quattro volte dans une perspective animiste particulièrement féconde. A tel point que le film figurait assurément parmi les plus fascinants découverts sur la Croisette au printemps. L’£uvre se dérobe à toute tentative de classification; l’auteur, que l’on retrouve dans la quiétude relative d’un palace des abords du Palais, se révèle pour sa part, et sans surprise à vrai dire, farouchement jaloux de son indépendance. En quoi il faut d’ailleurs chercher la raison majeure du long silence encadré par ses 2 films. « J’ai eu l’idée de Le quattro volte en 2005, soit 2 ans à peine après Il dono , commence-t-il, mais je tenais à travailler en autoproduction, et le chemin a été long et difficile. » En cours de route, le projet trouve ses contours définitifs. Si Frammartino n’a jamais douté de l’ancrage de son film en Calabre, la région dont est originaire sa famille, et une terre où affleure l’archaïsme – « je suis fasciné par l’image témoin, et la capacité qu’elle a à préserver une trace vivante »-, l’articulation s’en est, pour sa part, dessinée en 2 temps. « Ce sont tout d’abord les lieux qui m’ont inspiré. Après quoi j’ai pensé aux différents règnes: l’homme, l’animal, le minéral et le végétal. J’ai commencé par envisager 4 histoires et autant de projets, jusqu’au moment où j’ai eu la révélation des connexions existant entre ces 4 corps que j’ai fait fusionner. Mon parcours correspond à celui que je demande au spectateur d’accomplir… « 

Du côté de Pythagore et de Tati

Avec un pasteur, un troupeau de chèvres, un sapin et le charbon de bois comme balises, le glissement s’opère de façon harmonieuse, l’ordre humain s’estompant au profit d’un autre, général. « La référence, c’est la philosophie de Pythagore, qui a vécu en Calabre, au VIe siècle avant Jesus-Christ. Dans son école de Crotone, il enseignait la métempsychose et la transmigration des âmes. Mais aussi le fait que minéral, végétal, animal et humain pouvaient être considérés comme les éléments d’un même règne. » A Pythagore, dont on dit qu’il dispensait son enseignement dissimulé de ses disciples par une toile, l’emprunt également d’un dispositif peu banal: « Je considère l’image comme un voile, une sorte d’écran derrière lequel se trouve le sens profond. J’ai voulu renforcer cette idée par le travail sur le son, que l’on n’entend pas par un système de surround, mais dont on a l’impression qu’il provient d’une source située derrière l’image. »

Exempts de dialogues et de musiques additionnelles, mais point de sens pour autant, ces contours sonores sont aussi réminiscents du cinéma d’un Jacques Tati -l’une des influences revendiquées par l’auteur, qui cite encore Michael Snow, Samuel Beckett, Béla Tarr, ou The Way Things Go des artistes suisses Peter Fischli et David Weiss. L’esprit de Tati semble d’ailleurs s’être invité jusque dans la scène clé du film, apportant un déséquilibre burlesque au stupéfiant plan-séquence où s’opère le basculement du règne humain aux autres. Un plan inouï, dont l’élément moteur n’est autre qu’un chien, au c£ur d’un enchaînement de micro-événements. « Il y avait les 30 membres de l’équipe, et 130 figurants, mais c’est vraiment son plan à lui, parce qu’il a fallu apprendre à penser comme un chien pour comprendre et anticiper ses réactions », s’amuse le réalisateur. L’affaire de 21 prises, pour un résultat saisissant, à la hauteur d’un film sans équivalent: « Mon ambition est que ce voyage se ponctue par une cinquième étape, et que le spectateur se laisse absorber pour se sentir, à la fin du film, composé de la même matière. »

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À CANNES

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content