BELLE AND SEBASTIAN INVESTIT LES CHAMPS SYNTHÉTIQUES. CARIBOU GAMBADE DANS LES PRAIRIES ÉLECTRONIQUES. LA POP INDÉ REPREND LE DANCEFLOOR D’ASSAUT.

Girls in Peacetime Want to Dance. Les filles en temps de paix veulent danser: le titre du nouveau Belle and Sebastian (photo) est plus éloquent qu’un long discours. Avec son neuvième album, le groupe de Glasgow adulé pour sa pop de chambre, sa finesse lettrée et ses mélodies précieuses a décidé de se rapprocher du dancefloor. Comme pour conjurer le syndrome de fatigue chronique dont est atteint son leader Stuart Murdoch voire relever le défi que s’étaient lancé il y a dix ans ses sautillants compatriotes de Franz Ferdinand: faire danser les filles. Enregistré en six semaines à Atlanta avec le producteur Ben H. Allen (Cee Lo Green, Deerhunter, Animal Collective), Girls in Peacetime… emmène la bande à Murdoch sur des terres disco, europop et french touch où elle aurait mieux fait de ne pas s’aventurer. Pour preuve le vilain et très variétoche Play For Today avec la Dum Dum Girl Dee Dee Penny ou le vomitif The Power of Three. « Nous n’avions jamais sorti un disque avec ce genre de son auparavant« , commentait sur The Quietus le batteur Richard Colburn qui expliquait avoir volontairement laissé quelques titres de l’album ouverts de manière à ce qu’Allen puisse y apposer sa griffe et affirmait parallèlement son intérêt pour la techno de Detroit, Derrick May et Juan Atkins…

En attendant, Enter Sylvia Plath ressemble plus à une chanson de vacances sur la Costa del Sol ou à un rip of de Don’t Leave Me This Way qu’à un tube pour rave clandestine. « Stevie veut être dans le Velvet Underground. Bob veut être dans les Rolling Stones. Et moi, je veux faire partie d’Abba« , racontait récemment avec humour le sieur Murdoch dans le Guardian.

Belle and Sebastian n’est pas le seul groupe indé du circuit à avoir viré sa cuti et tenté le passage en force aux portes des boîtes de nuit. Caribou, qui avait déjà enfilé ses dancing shoes avec Swim (2010), se dandine aujourd’hui carrément avec Our Love au milieu de la piste. Le sourire au visage et les bois en l’air. Sa tête pensante, le mid-trentenaire Dan Snaith, mixait déjà à 20 ans dans les soirées débridées de Toronto. « J’étais même un vrai clubbeur, sourit-il. A la fin des années 90, la ville, où j’ai débarqué à 18 piges, vivait ses nuits et ses années folles. L’ecstasy était enfin arrivé au Canada. Tu pouvais participer à un tas d’énormes raves presque commerciales mais aussi fréquenter de chouettes petits clubs. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à mixer. Souvent à des soirées qui essayaient d’attirer les étudiants de l’unif. Je mélangeais de la soul, du funk, du disco mais aussi de la techno bizarre et minimale à la Thomas Brinkmann. Des trucs que je passe encore aujourd’hui. »

Au début des années 2000, toute musique de clubs intéressante disparaît selon lui de la carte. « Un monde me semblait mort. Je me suis davantage intéressé au live. C’était l’ère des Animal Collective, période Sung Tongs, de Lightning Bolt, Black Dice, Boredoms… J’ai commencé à réentendre de l’électronique qui me plaisait à partir de 2006. James Holden fut l’un des premiers trucs à me ramener au bercail. Ça avait un nouveau potentiel et ça dégageait les horizons: la dance music devenait intéressante à nouveau. »

Quand, en 2008 et 2009, après la pop rêveuse d’Andorra, Snaith planche sur Swim, Londres est un endroit super excitant où habiter pour tous les noctambules et les beat lovers. « A l’époque, j’allais beaucoup en club. Il y avait toute cette bass music. Les Joy Orbison, Floating Points… Je suis devenu ami avec de nombreux producteurs et particulièrement excité par l’idée de faire quelque chose d’intéressant dans ce monde-là. En même temps, je ne m’attendais pas à sortir un disque comme celui que j’allais publier sous le nom de Daphni. » Soit un projet purement dance music où les échantillonnages et boîtes à rythmes remplacent les instruments traditionnels.

Langage universel

Quand on le réécoute aujourd’hui, Swim semble être une étape à mi-chemin entre ce que faisait Caribou et ce que Caribou est devenu. Snaith savait déjà pertinemment à l’époque de sa conception qu’il ne s’agissait que d’un début. Et pourtant. « J’ai eu l’occasion de beaucoup cogiter avant d’enregistrer quoi que ce soit, explique-t-il. D’habitude, je suis guidé par la recherche d’une certaine esthétique, d’un certain type de son, l’exploration d’un genre musical. Cette fois, je me suis laissé porter par la réception de Swim et les réactions extrêmement positives qu’a suscitées ma musique. La connexion avec le public s’est révélée réconfortante. Elle m’a donné l’envie de composer pour lui et pas juste pour moi. Alors que pendant dix ans, je fermais la porte de mon studio et j’essayais de me faire plaisir en pensant: si les gens aiment, tant mieux. »

A écouter Snaith, on se demande si le dancefloor et le remuage de fesses obligé ne sont pas devenus l’esperanto de la musique. Le dernier dénominateur commun d’une consommation plus que jamais morcelée. « J’ai trouvé un langage que tout le monde comprend mais si c’est tout ce que tu cherches, tu peux aussi faire du Katy Perry ou du Justin Bieber. Celui-ci me correspond et m’est propre. Swim était plus bizarre que beaucoup d’autres choses sur mon CV et pourtant c’est celui qui a touché les gens le plus largement. »

La tournée avait commencé comme les précédentes dans des salles de concerts. Les mêmes que d’habitude d’ailleurs. « Mais l’année d’après, on a commencé à se retrouver sur des scènes plus grandes de festivals à des heures plus tardives devant des foules qui dansent. Les gens remuaient ensemble les bras en l’air. Avaient l’air de partager des choses. » Quoi d’étonnant, à l’heure où le DJ est devenu plus populaire que le guitar hero et où la consommation de musique est guidée par l’immédiateté pour la plupart des auditeurs?

Si elle a de multiples visages, la dancefloorisation du rock et de la pop est un phénomène récurrent. Mêlant le post-punk à la synth pop de Kraftwerk, New Order est considéré comme l’un des premiers groupes d’indie dance (alternative dance pour ceux qui préfèrent). Une famille qui fusionne depuis plus de 30 ans différents sous-genres du rock aux beats électroniques, aux synthétiseurs et aux samples en mode post-disco. On parle des Happy Mondays, de Primal Scream et de la scène de « Madchester » mais aussi de Prodigy, Phoenix, Hot Chip… De nombreux projets de pop alternative avaient déjà flirté avec la dance et les musiques électroniques mais pas au point de lui rouler pareilles pelles et de revendiquer la culture club. Plus humaine, moins mécanisée que les standards de l’époque, l’alternative dance, phénomène majoritairement anglais (le poids des scènes clubs et raves britanniques dans la culture musicale underground), marche aussi bien dans les boîtes que dans les salons grâce à son accessibilité pop. Dance punk, indietronica, électro clash, nu rave… « Dans les années 90, quand je suis arrivé en Angleterre, c’était l’époque de Pete Tong et de tous ces énormes DJ’s. Tout le monde se foutait de Yo La Tengo et de Sonic Youth. Alors que cinq ans plus tard, tout le monde crierait à la vaste blague et que les groupes de rock dansants comme LCD Soundsystem et The Rapture exploseraient. C’est le grand cycle de la musique.  »

Un cycle dans lequel il faut compter avec le remix. Snaith, qui a souvent été invité par des représentants de maison de disques à remixer leurs poulains -« je leur répondais que je ne voulais pas participer à leur plan marketing« – note que les remixes de fans se multiplient sur YouTube. « On a d’ailleurs donné Sun gratuitement pour que les gens puissent en faire ce qu’ils veulent. »

Mat philo

Durant l’élaboration de Swim, il considère presque les deux albums comme des frère et soeur, Snaith avait testé Bowls en soirée, filant le morceau à un de ses potes DJ. « Et c’était incroyable de voir le potentiel d’un de tes titres que personne ne connaît sur le dancefloor. Mais je n’ai pas procédé comme ça cette fois. Je me suis montré plus méticuleux. » Et différemment organisé. « Mon existence a changé avec la paternité. Avant, je m’enfermais dans mon studio une semaine. Là, je m’offrais deux heures de boulot puis j’emmenais la petite au parc. Ou je chipotais pendant une demi-heure jusqu’à ce que je l’entende pleurer et coure à son chevet. Emotionnellement, sa naissance m’a aussi transporté dans des dispositions plus réflexives. Des choses davantage connectées à ma vie personnelle. Ce qui fait de ce disque un album à la fois ouvert sur les gens et proche de ma vie de tous les jours. »

Il ne le comprenait pas à l’époque mais sa gamine a exercé une grande influence sur l’album. « Je passais de la musique pendant que je jouais avec elle. Du dub, Kraftwerk, dont les chansons sont presque comme des comptines, ou encore Stevie Wonder. Sa période Innervisions, Talking Book. Des trucs familiers que j’ai eu l’étrange impression d’entendre pour la première fois. Mais ce n’est que quand j’ai eu fini Our Love que j’ai compris tout ce qui s’était glissé en lui. A priori, j’étais excité par les prods r’n’b contemporaines. On baigne dans la production r’n’b aujourd’hui. Mainstream mais aussi indépendante, comme Jessy Lanza qui chante sur mon disque ou FKA Twigs. Ce n’est pas de la musique de club dans le sens de house ou de techno. C’est la déconstruction du r’n’b et du hip hop. Enfin bref, tout a bouillonné. Et l’aspect plus émotionnel du disque vient de ces moments en famille. »

Snaith, à qui il arrive de donner des DJ sets de six heures, n’a pas arrêté de mixer pour autant. « Je bossais en boîte de 4 à 6 h du matin et quand je rentrais à la maison, ma fille se réveillait. J’ai vécu à un rythme de dingue. Un peu schizophrène. Ses horaires et humeurs et ceux des gens à la Fabrik ne sont pas tout à fait les mêmes. »

Affublé d’un doctorat en mathématiques, le cerveau de Caribou est un homme plein de surprises… « Parce que j’ai étudié les maths, les gens s’attendent à ce que je sois davantage dans le côté technologique. Ce n’est pas le cas du tout. Les mathématiques de haut vol sont plus artistiques qu’autre chose. Elles deviennent poétiques et abstraites. Philosophiques. En cela, finalement, elles se rapprochent de ma musique. »

?GIRLS IN PEACETIME WANT TO DANCE DE BELLE AND SEBASTIAN, DISTRIBUÉ PAR MATADOR.

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?OUR LOVE DE CARIBOU, DISTRIBUÉ PAR CITY SLANG, EN CONCERT LE 10/03 À L’ANCIENNE BELGIQUE.

TEXTE Julien Broquet

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