AMAZON ET NETFLIX, DEUX GÉANTS DU NET, ONT PRIS LE TRAIN DES SÉRIES EN MARCHE. EN BOULEVERSANT L’IDÉE QU’UNE SÉRIE DOIT ÊTRE FAITE PAR LA TÉLÉ, POUR LA TÉLÉ.

Aussi puissant et créatif soit-il, le site de vente en ligne Amazon n’a rien inventé. Ce coup-ci du moins. Dans un entretien qu’il nous accordait naguère, le Grand Jojo en personne préfigurait la tactique adoptée récemment par le géant américain: vendeur de juke-box en son jeune temps, Jules Vanobbergen comprit bien vite le potentiel rémunérateur de chansons populaires qu’il créerait pour les placer immédiatement dans lesdits juke-box. Vendre le contenant. Et le contenu. Pas con. En créant leurs propres séries, les plateformes Internet que sont Amazon ou Netflix ne font rien d’autre, finalement. Comme lorsque Carrefour finit par produire ses propres loempias. Sauf que les fictions fomentées par les deux géants américains n’ont rien d’un inoffensif rouleau de printemps.

Commençons par Netflix, qui débarquera bientôt en France, après s’être implanté aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne et en Scandinavie (le flou demeure quant au timing de l’implantation belge de la plateforme, même s’il semble établi qu’elle aura bien lieu à terme). Le principe? Pouvoir piocher dans un catalogue gigantesque de films, séries et documentaires pour moins de huit dollars par mois, via un abonnement sur Internet, en s’avalant ces programmes sur DVD ou, surtout, en streaming sur tout support (tablettes, etc.). Mais à force de diffuser les créations des autres, le groupe états-unien a fini par se lancer dans ses propres productions. Et pas n’importe comment, puisque House of Cards, l’une de ces « homemade fictions », fait partie des plus grandes réussites de l’année écoulée.

Avec un certain David Fincher au pilote, Kevin Spacey et Robin Wright devant l’objectif et un scénario politique en béton armé pour enrober le tout, les treize épisodes de la première saison ont instantanément placé Netflix au rang des acteurs majeurs du monde de la série. Lequel, désormais, ne se décline donc plus seulement en télé: en délivrant directement l’ensemble de la saison à ses abonnés, la plateforme a également chamboulé la manière de digérer la fiction. Ou plutôt, elle a pris le train en marche, celui des séries qu’on engloutit par poignées d’épisodes, fiévreusement, en contournant le rythme imposé par une chaîne.

La politique de Netflix répond en outre à un double mouvement: donner naissance d’une main et ressusciter de l’autre. Des productions originales comme Orange is the new black, l’une des révélations de l’été dernier, mais également l’arrivée prochaine de quatre nouvelles séries tirées de l’univers Marvel (dont Daredevil, en 2015) marquent un véritable dynamisme dans la création alors que, d’Arrested Development à The Killing (toutes deux pour une saison 4), Netflix prolonge également la vie de certaines grandes fictions abandonnées. En annonçant des accords avec Dreamworks, le groupe américain a encore enfoncé le clou, puisqu’il semble que Shrek, Madagascar ou Kung-Fu Panda se déclineront également en séries…

3600 pilotes

Pleine de fougue et d’ambition, la plateforme Netflix peut désormais compter sur un autre ogre de la Toile pour lui chatouiller les orteils. Déjà présent sur le marché de la vidéo à la demande par abonnement, Amazon a franchi un nouveau cap. A force de vendre, sur son site, les coffrets DVD et les streaming des autres, Amazon s’est finalement piqué au jeu du « moi aussi, je veux mon jouet ». En mode Grand Jojo donc, même si, par fierté, les Américains n’avoueront jamais de qui ils se sont inspirés pour se lancer dans la création propre… Toujours est-il qu’Amazon Studios a été inauguré en 2010, avec l’ambition de produire films et séries en cascade. Pour l’anecdote, sachez que pas moins de… 15 000 pilotes de films et 3600 pilotes de séries ont atterri sur les bureaux d’Amazon! On ose à peine imaginer les cernes sous les yeux des décisionnaires. Sur ces 3600 pilotes, 24 ont été retenus pour être développés.

L’originalité, dans le chef d’Amazon, tient à la manière dont la sélection naturelle s’effectue. La technique est la suivante: les premiers épisodes sont tournés et mis en ligne gratuitement pendant quelques mois. Les pilotes les plus commentés et les mieux critiqués ont la chance d’être prolongés pour une saison complète. « Nos décisions ont été aiguillées par les réactions des consommateurs« , confirmait ainsi au Figaro Roy Price, le directeur d’Amazon Studios. C’est donc tout le bien qui est arrivé à Alpha House, mis en ligne en avril dernier. Trois épisodes sont mis à disposition des curieux, gratuitement, le reste de la saison étant disponible sur abonnement. Cette satire politique, qui met en scène quatre sénateurs républicains partageant le même toit à Washington, ne révolutionnera probablement pas le genre, actuellement dominé par Veep. Mais elle peut s’appuyer sur un casting solide et chevronné, emmené par l’excellentissime John Goodman. D’autres projets, comme la comédie Betas (qui a été lancée ce 22 novembre), ont déjà vu le jour, et peuvent être visionnés depuis notre pays, mais en version originale sans sous-titres.

Preuve que la plateforme ne blague pas: elle a annoncé des projets avec quelques poids lourds de la télé ou du cinéma: Eric Overmyer (scénariste sur The Wire et Treme) pour Bosch, Chris Carter (X-Files) pour The After ou encore le très juste Gael Garcia Bernal pour Mozart in the Jungle (il y jouera un chef d’orchestre) viendront prochainement enrichir la galaxie des séries made in Amazon. Drames, comédies, séries pour enfants: Amazon a bel et bien l’intention de concurrencer Netflix sur les circuits parallèles. D’autres acteurs du Web, comme Hulu ou Microsoft, ont déjà lancé (ou sont sur le point de le faire) leurs séries originales. Le match a commencé.

TEXTE Guy Verstraeten

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