Les ressorts grinçants du cinéma grec

Canine de Yórgos Láthimos

Il y a, dans le cinéma grec, un avant et un après Canine (Kynodontas), le sulfureux portrait de famille qui révélait Yórgos Láthimos en 2009, engageant une cinématographie jusqu’alors dominée par la figure tutélaire de Theo Angelopoulos sur la voie d’un profond renouveau. Formé comme le futur réalisateur de The Lobster à la Stavrakos Film School d’Athènes, Michalis Konstantatos apprécie: « Dans la foulée, une génération de cinéastes vraiment intéressés par la réalité d’aujourd’hui a émergé. Ils n’ont plus eu peur de parler de problèmes qui les concernaient, et c’est clairement Canine qui a montré la voie. » Attenberg, de Athiná- Rachél Tsangári, Alpis, de Láthimos à nouveau, Miss Violence, d’Alexandros Avranas, Stratos, de Yannis Economides, ou aujourd’hui All the Pretty Little Horses, de Konstantatos, sont quelques-uns des films témoignant d’une production hellène pratiquant un singulier cocktail de radicalité et d’inconfort. « Si le cinéma grec apparaît radical, c’est aussi le reflet de la réalité, poursuit ce dernier. Nombre de ces films touchent à la famille, et je ne pense pas que ce soit dû au hasard. Notre génération a grandi dans des familles où l’on réprimait beaucoup de choses. Une caractéristique des familles grecques, c’est que les problèmes doivent rester cantonnés à l’intérieur: il n’est pas question d’ouvrir grandes les fenêtres pour que les voisins puissent entendre ce qui se passe. Tout doit paraître parfait, on ne doit pas partager ses problèmes. Nous avons grandi avec des phrases comme « Tu dois dire bonjour à ta tante », « Ne parle pas à ton voisin, il pourrait te voler », nous avons dû garder en nous toute une série de choses qui ne demandent qu’à sortir dans nos films. »

Modèle éprouvé

Sous la perfection de façade, les névroses et failles diverses, modèle ayant largement fait ses preuves. Et trouvant parfois une expression littérale, comme dans la grille défaillante de la villa du film de Michelis Konstantatos: « Même dans ce monde parfait, il y a un détail qui ne fonctionne pas, et pas n’importe lequel: c’est la fine ligne de l’endroit où l’on y entre ou bien l’on en sort et, suivant la façon dont on l’envisage, cela peut constituer une libération ou un enfermement. » Un modèle pas étranger non plus à l’ADN grinçant du nouveau cinéma grec: « Notre manière de vivre est, en tout état de cause, régulée et dirigée, nous confiait Yórgos Láthimos en marge de la sortie de The Lobster. Quand on vient au monde, et cela valait pour Canine également, on est éduqué d’une manière donnée, on nous inculque une série de choses déjà fort jeunes. Imaginez qu’une situation comme celle de Canine (un père manipulateur y élevait ses trois enfants adolescents retranchés d’un monde dont ils ignoraient tout, NDLR) se produise: votre accès au monde réel serait tellement limité que vous pourriez croire que ce dernier tiendrait dans une pièce. C’est une pensée effrayante, qui peut s’appliquer à beaucoup de choses différentes: une famille dans une pièce, un pays entier, un continent, une planète, voire l’univers. » Confinés, pour mieux imploser?

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