Les Raves de la Peste et la raclette avec votre club de natation

Image d'illustration. © Getty Images
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Dans un monde où la fête est très mal vue, certains organisateurs, certains DJ’s et un certain public continuent de se mettre la tête à l’envers dans les rares endroits où ce n’est pas interdit. Dénoncées, ces « Plague Raves » irritent. Sont-elles pourtant si différentes de la raclette organisée en douce avec votre club de natation?, se questionne ce Crash Test S06E35.

Un compte très plaisant à suivre sur Twitter est celui du Secret DJ (@SecretDJBook). Anglais habitant les Baléares, déjà auteur de deux bouquins plutôt sauvageons sur les coulisses de l’industrie de la nuit, sans nul doute quinquagénaire vu sa profonde connaissance de la scène électronique et pop des années 80/90, l’auteur derrière le pseudonyme ne serait autre que Tim Sheridan, un DJ et journaliste britannique jadis fort impliqué dans la direction artistique de quelques très gros clubs d’Ibiza. Peu importe. Son identité réelle n’est pas primordiale. Ce qui compte, c’est ce qu’il raconte, comment il le fait, ce qu’il balance. Le Secret DJ a du bagout, une conscience politique de gauche, une grande connaissance du milieu, et n’hésite jamais à cruellement se moquer des têtes de gondoles, des très capricieuses superstars comme des organisateurs aux vraiment gros melons. C’est souvent assez comique, jouissif même. Ces derniers temps, c’est aussi régulièrement plus sombre et dénonciateur. Alors que l’événementiel est à l’arrêt depuis des mois et que beaucoup de DJ’s n’ont plus aucune entrée financière, quelques figures de premier plan continuent en effet leur business comme si de rien n’était, comme si nous étions toujours en 2019. Là où c’est permis, dans des pays qui n’ont pas toujours la possibilité de mettre leurs économies à l’arrêt et dans des régions où les autorités se la jouent « Maire de Jaws » en laissant se développer les activités de loisir alors que circule le virus. Des fêtes, d’énormes fêtes, existent donc toujours. Le Secret DJ les appelle les « Plague Raves », les Raves de la Peste. Un terme qui restera sans doute, tant il est marquant. Et selon le Secret DJ aussi assez tabou dans les milieux concernés.

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Une « Plague Rave » n’est pas une lockdown party montée à l’arrache. Ce n’est pas La Boum du Bois de la Cambre. Ce sont bien au contraire de gros événements officiels ayant pignon sur rue, avec à disposition de gros moyens et une logistique pro, annoncés par des campagnes marketing internationales. En 2020, il s’en est tenu en Tunisie, en Géorgie, en Égypte, à Bali, au Mexique… Comme l’explique un article de février 2021 du magazine Vice, « quand Dixon a joué devant des centaines de fêtard·es en Tunisie au mois d’août – qui ne portaient pas de masques ou ne gardaient pas leurs distances – le ministre tunisien de la Santé avait déjà prévenu que la deuxième vague allait arriver. Ça n’a pas posé de problème au DJ berlinois, qui a pris ses distances vis-à-vis de la foule et est directement rentré chez lui après le concert avec un cachet qui valait trois à quatre mois de travail en Tunisie. » Ce même article de Vice balance d’autres noms: Amelie Lens, Diplo, Dax J, Nina Kraviz continuent (ou continuaient) également « à se produire dans les rares pays où il y a encore moyen de faire la fête. » Avec pour question subsidiaire: mais pour quel public, dans un monde où beaucoup de frontières sont fermées, où les avions commerciaux volent peu et où des quarantaines sont en principe appliquées aux descentes de ces mêmes vols? Réponse: pour les riches, pardi!

Pour quel public? Pour les riches, pardi!

https://twitter.com/MootIreland/status/1296427064975937537/// MOOT \https://twitter.com/MootIreland

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Il y a effectivement un côté Glamorama aux Plagues Raves puisque celles-ci attirent donc surtout un public capable se débrouiller pour faire des milliers de kilomètres pour faire la fête en pleine pandémie. Fin 2020, au Mexique, s’est ainsi tenu le festival Art With Me, à Tulum, sur sur la côte caraïbe. Une ambiance Burning Man, à la fois festive et new-age, en tous cas riche en promesses de promiscuité. Quelques semaines plus tard, au même endroit, les soirées de Nouvel An ont aussi attiré un large public international. Sans surprise, des pics de contamination ont à chaque fois ensuite été constatés. Sur place, mais aussi dans des villes comme San Francisco et New York, d’où provenaient beaucoup de festivaliers et de touristes. En fait, c’est même plus précis que ça: il y a surtout eu « super propagation » dans le secteur des industries créatives. Yeah, baby! Je relevais plus haut qu’un tabou entourerait l’existence de ces « Plague Raves ». Les DJ’s qui y participent en font peu la promotion, évitent de s’avouer en tournée sur Instagram, de rendre des comptes. Certains, accusés d’égoïsme et d’irresponsabilité, ont présenté des excuses publiques. D’autres sont attaqués sur les sommes qu’on leur paye, supposément plus élevées qu’un cachet « en temps normal ». Comme nous vivons à une époque éprise de justice et de luttes sociales, il y a aussi une grande colère de la part des artistes déclassés à l’avenir incertain face à ces personnes qui ne continuent pas seulement comme si la pandémie n’existait pas mais en profitent carrément pour gagner de l’argent et, a priori, plus d’argent que d’habitude. Pour le Secret DJ, le flagrant délit est surtout d’ordre éthique: ces DJ’s participent à quelque chose qui, dans le pire des cas, peut tuer. Pourtant, à ses yeux, la presse spécialisée reste frileuse au moment de dénoncer les « Plague Raves » et les artistes qui y participent. Entrer le terme sur Google donne pourtant 10.300 résultats en 0,49 seconde. Peut-on, dès lors, vraiment parler de frilosité et de tabou?

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J’avoue pour ma part ne pas avoir d’avis sur les « Plague Raves », sinon que ce n’est pas très malin mais, pandémie ou pas, aller gober des cachets bizarres et boire de l’alcool chaud sur de la musique répétitive n’a jamais été très malin. Je reconnais aux participants un égoïsme crasse, une irresponsabilité monstrueuse. Mais comme avec la polémique des restaurants clandestins, je n’aime pas que la dénonciation quitte le domaine de la moquerie ou de l’exposition neutre des faits pour se transformer en justice expéditive et en jugement moral sans nuance ni réelle mesure. Quand je m’imagine ces gens en train de danser et de s’amuser à Tulum, ne me vient pas l’envie de les traquer et de les « outer » sur les réseaux sociaux. Qu’ils soient punis, perdent leurs jobs, soient condamnés à l’opprobre général. Jamais. Je les estime « débiles » mais je dois bien avouer les envier aussi un tout petit peu et même envier cette « débilité ». Parce que l’insouciance est peut-être ce qui nous manque le plus. Et puis aussi parce que je suis assez âgé pour me souvenir de cette jeunesse israélienne qui dansait sur la techno dans les bunkers de Tel-Aviv tandis que Saddam Hussein bombardait la ville de SCUD potentiellement transformés en armes chimiques, durant la Première Guerre du Golfe. Que me reste donc gravée à jamais dans un coin de la tête que même tout au bord du gouffre, on doit pouvoir continuer à danser, hurler, s’amuser. Je ne dis pas que c’est intelligent, je ne prétends même pas que c’est défendable et rationnel. Ça existe, c’est tout. Ça se ressent. Comprendre avant de juger. En tenant de préférence compte de toutes les données du dossier, pas juste de celles qui arrangent bien la vision simplifiée du monde choisie. En l’occurrence ici, la haine des riches. Toutes proportions gardées, entre un festival de house music à Tulum et une raclette avec son club de natation, quelle différence d’ailleurs, au fond? N’essayons-nous pas tous de survivre à la fois à un virus mais aussi à l’ennui qui recouvre comme une gangue cette planète depuis mars 2020?

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