DANS CETTE BOMBE GRAPHIQUE AUX FAUX AIRS DE FABLE ENFANTINE, BRECHT EVENS EXPLORE LA FACE SOMBRE D’UNE RELATION AMICALE ENTRE UN FÉLIN ET UNE PETITE FILLE.

Panthere

DE BRECHT EVENS, ÉDITIONS ACTES SUD BD, 126 PAGES.

9

Ce diable de Brecht Evens a encore frappé. Après Les Noceurs, fable amère sur l’entrée dans la vie adulte et la mue des sentiments, suivi de l’époustouflant Les Amateurs, réflexion sur la création, l’art et la transmission à travers une expérience loufoque de biennale dans la pampa flamande, le dessinateur belge surprend à nouveau avec ce conte maléfique intime consacrant la rencontre entre l’humour anthropomorphique de la série Calvin et Hobbes de Bill Watterson et la poésie teintée de philosophie des contes persans.

L’histoire se déroule dans la chambre de Christine, petite fille qui vit seule avec son père depuis que sa mère a pris la tangente sans laisser d’adresse. On fait sa connaissance le jour où Patchouli, son chat adoré mais malade, se fait euthanasier. Un drame pour la gamine qui s’enferme dans sa tanière. Toute à ses sanglots, elle voit sortir de la commode une panthère majestueuse aux bonnes manières et au langage châtié qui prétend être le prince héritier de Panthésia. S’ensuivent de longues conversations complices à l’abri des regards adultes sur ce pays féérique où l’herbe est douce et élastique, où les chevaux jouent (mal) aux échec et où les méchants ressemblent à des hommes-légumes. Même si affleure ici et là l’instinct naturel du félin, comme quand il ne peut s’empêcher de mordre Christine alors qu’ils jouent à se chatouiller, une certaine insouciance préside aux échanges. Mais peu à peu, les coutures de la bienséance vont craquer, en particulier quand d’autres invités nettement moins présentables, comme un ourson violent ou un singe en peluche fumant et mutique, entreront dans la danse. A l’innocence succède alors le malaise, qui culminera dans une scène finale poisseuse qui oblige à revoir la fable enfantine d’un oeil brutalement dégrisé.

Feu d’artifice graphique

S’il change de registre, le « petit génie de la BD » comme on l’a étiqueté à Angoulême reste fidèle à sa palette graphique virevoltante et aux collisions graphiques, des tableaux breughéliens chargés de mille détails venant ponctuer ici et là le flot des strips découpant, presque image par image, l’étrange jeu de séduction. Ce tourbillon d’aquarelles et de gouaches participe pleinement à l’intrigue, les métamorphoses incessantes du félin dandy n’étant rien d’autre par exemple qu’une métaphore de sa propension à la manipulation.

Peintre, illustrateur et dessinateur, le Gantois désormais installé à Paris démontre une fois encore sa maîtrise des ambiances, solaires comme ténébreuses. Ainsi que sa capacité à ordonner le chaos visuel pour traduire une émotion. Adepte de l’entre-deux, du mélange des genres, le funambule de 29 ans entrelace abstraction et figuration, réalisme et onirisme, humour et violence, noir et blanc et explosion de couleurs vives. Sous son pinceau trempé dans un mélange de naturalisme à la Giotto et de naïveté à la Douanier Rousseau, le monde se dévoile par transparence, les véritables intentions des êtres finissant par émerger sous les couches de papier peint maquillant l’existence. Morale de l’histoire: toujours se méfier des beaux parleurs…

LAURENT RAPHAËL

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content