Les héros ne meurent jamais. Forcément, on n’arrête pas de les réanimer. Prenez au hasard Marilyn Monroe. Morte le 5 août 1962 par ingestion massive de barbituriques, l’actrice mémorable de Certains l’aiment chaud renaît régulièrement depuis. En chanson (Rihanna, Pharrell Williams ou Claude Nougaro), en peinture (Andy Warhol, Salvador Dali ou Peter Blake), en images animées (My Week with Marilyn de Simon Curtis, en attendant le biopic télé en gestation sur la chaîne américaine Lifetime) ou en mots (le définitif Blonde de Joyce Carol Oates, le non moins définitif Marilyn, dernières séances de Michel Schneider, ou aujourd’hui encore le moins indispensable mais toutefois original Marilyn, Naissance année zéro de Véronique Bergen, lire page 37). Pareil pour Elvis, Michael Jackson, Hercule ou pour le roi des cadavres bien-portants, Jésus. Pas plus tard que le 17 décembre prochain, le film Exodus dispense d’ailleurs un cours de catéchisme avec une autre star du who’s who biblique, Moïse, pour une spectaculaire mais ultra conservatrice relecture de l’épisode de la fuite des Hébreux par le pieux Ridley Scott. On en reparle.

Un traitement posthume de faveur qui fait feu de tout bois pourvu qu’il soit noble. Ainsi, les cendres des héros imaginaires n’ont pas non plus le temps de refroidir qu’un avisé, passionné (ou les deux) éditeur, réalisateur ou producteur se chargera de souffler un bon coup dessus pour les réveiller. Du coup, rien que cette semaine, entre Astérix et le Domaine des dieux au cinoche, le Blake et Mortimer annuel de Sente et Juillard (Le Bâton de Plutarque) et Les Trésors de Tintin (compilation de fac-similés « rares et inédits« ) de Dominique Maricq, on a parfois l’impression d’avoir embarqué avec Marty McFly à bord de la DeLorean, direction les années 60-70.

Et quand on n’ajoute pas un wagon au train, on reconditionne quelques beaux morceaux, inédits de préférence, dans un joli emballage, et hop, le tour est joué! Veille de Noël oblige, les intégrales aux noms ronflants pullulent ainsi sur les étalages comme des morpions dans le slip du Gros dégueulasse de Reiser. Truman Capote (coffré chez Quarto) ou Fela Kuti (box vinyles chez Pias) se rappellent à nos bons souvenirs. Un mouvement de fond teinté d’ironie: hier peu fréquentables, Gotlib et Lauzier sont aujourd’hui des têtes de gondole par la magie de la récupération, après neutralisation, des idées subversives. On doit bien se marrer au bistrot du Paradis…

Variante de ces travaux d’excavation: le remake. Reprises des tubes d’Aznavour (passé un certain niveau de notoriété, les vivants font aussi l’objet de toutes les attentions) par le fond du panier de la chanson française, classiques de la littérature pasteurisés (la collection de Belfond où des auteurs repeignent aux couleurs de saison les oeuvres de Flaubert, Jarry ou Balzac)… Faute de grives, on mange des merles à la table de la culture.

De ces pratiques douteuses à la malversation intellectuelle, il n’y a qu’un pas. On se souvient que les héritiers de Nabokov s’étaient assis sur les dernières volontés du père de Lolita de ne plus rien publier sous son nom une fois entré dans la tombe. Cette fois-ci, c’est sur la dépouille de Stieg Larsson que l’éditeur et les ayants-droit peu scrupuleux de l’écrivain jouent au Monopoly: le quatrième tome de la lucrative saga Millénium, écrit par un vieux briscard des lettres suédoises, sortira en 2015. L’occasion sans doute de ressortir une petite intégrale des trois premiers volumes par la même occasion. Profitons-en tant que le cadavre est encore chaud…

Pas simple pour la jeunesse de se faire une place à côté de ces fantômes encombrants. La surpêche menace d’ailleurs l’espèce. Si Hollywood recycle à tour de gros bras ses super-héros, c’est parce que l’époque, mal dans sa peau et morcelée, se prête mal à l’émergence de nouvelles figures fédératrices, à quelques rares exceptions près comme Hunger Games. Du coup, l’industrie puise ad nauseam dans son catalogue de valeurs sûres. Sans se soucier des effets néfastes, et sur notre moral, et sur le jeune plancton, condamné à l’asphyxie faute de lumière.

Seule consolation, on a échappé au coup de grâce pour le moment: un film où Superman se retrouverait dans la peau de Rastignac sur une bande-son enfilant des chutes de studio de John Lennon remixées par Guetta… Au secours, le pire est devant nous!

PAR Laurent Raphaël

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