SEPTIÈME LONG MÉTRAGE DE WES ANDERSON, MOONRISE KINGDOM RACONTE LA FUGUE AMOUREUSE DE DEUX PRÉADOLESCENTS. ET VOIT L’UNIVERS DE L’AUTEUR DE DARJEELING LIMITED S’OUVRIR SUR DE NOUVEAUX CONTINENTS. EN TOUTE INNOCENCE.

La première impression à s’imposer, lorsqu’on rencontre Wes Anderson, c’est qu’il pourrait fort bien être le protagoniste de l’un de ses films. L’homme a l’élégance un brin lunaire, et le chic atypique, si pas anachronique. Là, pour l’heure, alors qu’il rejoint la poignée de journalistes qui l’attendent à une table du Carlton Beach Club, il n’a pas dérogé au velours côtelé, quelque peu incongru en tel endroit, costume auquel il a assorti une chemise jaune que l’on jurerait sortie de la garde-robe du Fantastic Mr Fox, le héros de son précédent opus. Le journal dépassant négligemment d’une poche complète la panoplie qui suffit à poser le bonhomme en dandy sur lequel la frénésie du monde ne saurait avoir de prise, et pas même celle d’un environnement cannois en survoltage continu.

En une quinzaine d’années, et une demi-douzaine de longs métrages, Anderson s’est imposé comme l’une des voix les plus singulières du cinéma américain. Entamé avec le cultissime Bottle Rocket, son parcours l’a vu ensuite composer un univers sans équivalent, ses films apparaissant comme autant de miniatures foisonnantes à l’excentricité finement ciselée. Un monde à part et hors du temps -ou presque, on y reviendra-, où les personnages semblent évoluer dans l’apesanteur d’un courant traversé de mélancolie diffuse. Et dans les méandres d’histoires familiales complexes, motif récurrent de l’£uvre, de The Royal Tenenbaums à The Darjeeling Limited, et jusqu’à Fantastic Mr Fox, pour lequel le cinéaste s’essayait à l’animation. Moonrise Kingdom le voit, pour sa part, se déplacer sur le terrain de l’enfance; celui de la préadolescence, plus exactement, puisque le film relate, en mode joyeusement décalé s’entend, la fugue d’un couple d’amants juvéniles, embarqués dans une drôle d’aventure…

D’où vous est venue l’inspiration de ce film?

Tout a commencé lorsque j’ai vu L’argent de poche de François Truffaut, un film assez inhabituel, en ce sens que l’histoire est envisagée en adoptant la perspective des enfants. C’est quelque chose que l’on retrouve dans divers films de genre, mais là, on a affaire à un film d’adultes, vu du point de vue d’enfants, et cela a constitué une profonde inspiration pour moi. Je souhaitais aussi faire quelque chose autour d’enfants de 12 ans vivant une romance très forte et qu’ils prennent fort au sérieux, sans que personne ne sache vraiment comment y réagir. On peut dire que ce film est basé sur des fantasmes de l’enfance. Et tout cela a mijoté…

Pourquoi avoir choisi de situer l’histoire en 1965?

J’ai commencé par écrire le rôle du narrateur. Je travaillais sur son dialogue, qui tourne pour l’essentiel autour de la météo, et au milieu d’un paragraphe, j’ai simplement écrit qu’on était en 1965, sans vraiment savoir pourquoi. Et je m’en suis tenu à cela. Après coup, je me suis dit que le film se situait à la fin d’une période plus innocente, juste avant l’émergence du mouvement de la contre-culture, qui correspondra à l’adolescence de ces enfants de 12 ans. Il n’y a qu’un morceau rock’n’roll dans Moonrise Kingdom, alors que ce sera leur bande-son à venir. Ce sont en quelque sorte les derniers feux de la période Norman Rockwell ( illustrateur américain, peintre naturaliste de la vie américaine au XXe siècle, ndlr).

Faut-il y voir une forme de nostalgie?

Je ne pense pas. Je ne ressens pas de nostalgie particulière pour cette période. Et je pense que l’on aurait pu situer ce film aujourd’hui, sans que l’histoire s’en trouve radicalement changée pour autant. C’est plutôt l’aura d’innocence que j’associe à cette époque qui me semblait convenir à ce type d’histoire.

La musique est-elle un élément du processus créatif pour vous? Moonrise Kingdom s’ouvre sur The Young Person’s Guide to the Orchestra de Benjamin Britten, et on a vraiment le sentiment que cette composition a inspiré toute la séquence d’ouverture…

En effet, je l’ai écrite sur la musique, qui lui a conféré sa forme, et plus encore. J’ai presque envie de dire que toute l’histoire de Moonrise Kingdom est inspirée par la musique de Britten, sans que je sache vraiment comment. C’est en tout cas à son écoute que j’ai ressenti l’inspiration pour l’écrire.

Sa musique vous était-elle familière auparavant?

Oui. A l’école, j’ai joué dans une production de Noye’s fludde semblable à celle que l’on voit dans le film, et ce fut mon introduction à Britten, à l’âge de 10 ans. Je jouais une loutre dans le spectacle. Pour les costumes du film, j’ai d’abord voulu m’inspirer de la production originale anglaise qui avait été montée sur la musique de Britten. Mais il est vite apparu que cela représenterait un travail colossal, et nous étions pressés par le temps, sans savoir si nous allions pouvoir y arriver. C’est alors que je me suis dit que si je l’avais fait à l’école, nous serions capables de faire au moins aussi bien. J’ai donc demandé à ma mère de se rendre à la bibliothèque de l’école, voir s’ils avaient des photographies du spectacle. Elle les a scannées, et nous les a envoyées, et nous avons refait tous ces costumes d’animaux, avec l’aide d’enfants. Les oiseaux sont plus élaborés, mais la plupart ont été découpés dans du feutre et assemblés.

Dans quelle mesure était-il important pour vous d’avoir deux inconnus dans les rôles principaux. Leur innocence faisait-elle partie du processus d’ensemble?

Quand on cherche quelqu’un de 12 ans, à moins que l’on ait une star à l’esprit, mais il n’y en a guère de cet âge, il faut être prêt à consacrer du temps à chercher. Il y a des tas de gens de 12 ans dont je ne connaissais pas la manière de travailler, et je les ai tous vus. Normalement, pendant les trois premières semaines de recherche, on voit défiler tous les gamins qui ont déjà joué dans des films, et il y en a de fort bons -la plupart des enfants qui composent la troupe de scouts sont issus des premiers jours du casting. Après, il ne vous reste plus qu’à attendre le moment où se présente quelqu’un dont on sent qu’il sera parfait. Et c’est ce qui s’est produit. Cela ne s’appuie pas tant sur un critère objectif que sur le fait qu’en les voyant, j’ai su qu’on pouvait arrêter là nos recherches. Le look de Jared Gilman, sa voix, ne ressemblaient pas du tout à l’image que j’en avais, si tant est que j’en aie jamais eu une, et cela vaut également pour Kara Hayward, mais c’est le sentiment qui s’est imposé alors. Déjà à l’époque de Rushmore, le héros du film était censé avoir 15 ans, et je n’avais aucune idée de ce à quoi il pourrait bien ressembler, et certainement pas à Jason Schwartzman. Et pourtant, quand au bout d’un an, Jason est apparu, je me suis dit qu’il était tout à fait remarquable.

Il n’a d’ailleurs plus quitté votre univers. On est par contre plus surpris d’y voir débarquer Bruce Willis, pas un choix évident à première vue…

En effet. J’adore Bruce dans les films de Night Shyamalan, Unbreakable en particulier, mais aussi dans Pulp Fiction. On l’a tellement vu paraître authentique dans des rôles de policier que le voir en interpréter un est quelque chose que l’on est prêt à accepter automatiquement. Mais qu’il en joue un qui soit solitaire, peu sûr et plutôt triste est autre chose. J’étais, en quelque sorte, attiré par sa persona pour mieux pouvoir l’en extraire…

Vous évoquez beaucoup l’enfance. Le cinéma est-il une sorte de jouet à vos yeux?

Il y a définitivement quelque chose de vrai dans ce qu’a dit Orson Welles, à savoir que le cinéma est un immense train électrique. Mais j’aime aussi l’idée de réunir un groupe de personnes, une compagnie, pour faire un job. Cela représente beaucoup de travail, bien sûr, mais c’est un travail que tout le monde aime tellement faire qu’on n’y pense plus en ces termes. Même si j’apprécie aussi qu’il s’agisse de travail.

Avez-vous le sentiment que les thèmes qui vous intéressent évoluent?

Oui. Il y a toujours quelque chose dont je ne sais pas d’où il vient, auquel je ne fais que penser vaguement, et qui finit par devenir le centre d’intérêt principal. Je travaille sur un projet dont, il y a encore quatre mois, la seule chose dont j’étais sûr, c’est qu’il allait se passer en Europe, sans savoir ce que cela pourrait bien être. Et puis, tout s’est mis en place, et j’ai écrit le scénario très vite. Ce n’est que dans le processus d’écriture que l’histoire s’est révélée. Je ne peux guère vous en dire plus, mais elle se déroulera en Europe, et il n’y aura pas de famille…

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À CANNES

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