À L’OCCASION DES 60 ANS DE POSITIF, LA CINEMATEK A CONFIÉ UNE PARTIE DE SA PROGRAMMATION À LA RÉDACTION DE LA REVUE. L’OCCASION DE REVENIR SUR SA LIGNE ÉDITORIALE EN COMPAGNIE DE SON DIRECTEUR, MICHEL CIMENT.

De Positif, qui fête cette année son soixantième anniversaire, Martin Scorsese a dit un jour qu’elle était « la meilleure revue de cinéma du monde », excusez du peu . Fondé par Bernard Chardère en 1952 à Lyon, le mensuel a su fédérer des générations de cinéphiles autour d’une ligne éditoriale d’une rare pertinence. La sélection de quelque 25 films choisis par sa rédaction à l’invitation de la Cinematek(1) en apporte une nouvelle démonstration qui, de Senso de Luchino Visconti à The Arrangement d’Elia Kazan, de Round Midnight de Bertrand Tavernier à Still Life de Jia Zhang Ke, de Hana-bi de Takeshi Kitano à The Man Who Wasn’t There des frères Coen… eurent tous droit à sa Une, témoignant au passage d’une curiosité sans frontières. A l’occasion de cette programmation de haut vol, Michel Ciment, le directeur de la publication, nous a reçus à Paris pour évoquer les combats, passés et présents, de la revue.

Vous parlez, dans la présentation du programme que vous avez composé pour la Cinematek, de combat nécessaire. En 60 ans, la nature du combat de Positif a-t-elle évolué?

Un combat nécessaire, c’était en référence au premier numéro de Positif, où Bernard Chardère, le fondateur de la revue, avait publié une déclaration d’intentions qu’il avait appelée  » Pourquoi nous combattrons« , parodiant un peu le film de Frank Capra Pourquoi nous combattons. Il énonçait un certain nombre de propositions qui me semblent avoir été grosso modo suivies, même si la revue a beaucoup évolué. Parmi ses objectifs, l’intention de considérer le cinéma comme les autres arts, ce qui n’était pas évident à l’époque, un art vivant ayant un passé, qu’on allait également explorer. Il y avait l’idée de faire parler le passé et de découvrir des talents nouveaux. Et puis de faire des entretiens avec les créateurs, donc d’avoir des contacts avec l’étranger, et tout cela s’est perpétué. Aujourd’hui, le combat est différent, c’est plutôt l’overdose d’informations sur le cinéma, présent absolument partout. Il parasite, si j’ose dire, tous les médias, des émissions superficielles, des journaux essentiellement portraits de stars… La nécessité d’une revue, c’est d’essayer de recadrer les choses, de prendre ses distances, de faire une hiérarchie dans l’actualité, d’essayer de dégager ce qui a un sens.

Comment arriver à faire entendre sa voix dans ce concert tonitruant?

André Breton avait dit à propos du surréalisme au début des années 50: « Il faut occulter le surréalisme. » Ce n’est pas en criant qu’on va automatiquement attirer l’attention. Le travail de Positif, aujourd’hui, est plus souterrain, mais il porte. La revue n’a jamais vendu autant d’exemplaires, 10 à 12 000. Et elle est lue par ce que l’on appelle des faiseurs d’opinion. Donc, incontestablement, ce combat pour la défense de ce qu’on estime être intéressant, avec des moyens et des perspectives limités, est bien réel, l’influence est là. La revue a une crédibilité auprès de ses lecteurs. Nous sommes assez prescriptifs, et je pense que c’est ce qui manque le plus à la critique désormais: elle est éparpillée, et met tout sur le même plan.

L’étendue croissante de la blogosphère constitue-t-elle à vos yeux une menace?

Nous n’avons pas arrêté de progresser alors qu’Internet se développait énormément ces cinq dernières années. La concurrence de la blogosphère, c’est beaucoup plus les magazines: pourquoi aller acheter un magazine, si c’est pour avoir un entretien de quelques feuillets et des critiques de 12 lignes, alors qu’on peut les trouver sur Internet? Ce que nous proposons n’est pas du tout concurrentiel, il n’y a pas l’équivalent sur Internet. Si on fait un dossier de 26 pages, comme ce mois-ci, sur le film de guerre aux Etats-Unis, on ne trouve pas d’équivalent. Le DVD a aussi beaucoup changé la lecture de Positif: même si elle reste fondamentalement présente sur l’actualité, c’est aussi une revue qui dialogue constamment avec le passé. Ça nous rend singuliers parce qu’on ne trouve pas cela dans les autres revues, et en même temps, nos lecteurs ont la possibilité de consulter, de voir les £uvres.

Considérez-vous que la fonction du critique a changé?

A titre personnel, je ne pense pas que ma fonction ait changé. Je me considère comme un passeur, un go-between, un éducateur. Je pense qu’il y a une fonction pédagogique des médias qui est indispensable. De ce point de vue, je n’ai pas changé. Mais le paysage a beaucoup changé autour de moi: il y a de plus en plus de gens qui s’improvisent critiques, qui font des jugements à l’emporte-pièce, sans argumentation, j’aime/j’aime pas, je m’ennuie… Il y a cette phrase anglo-saxonne que Woody Allen utilise littéralement pour un gag dans son dernier film, To Rome with Love: « Tout le monde est Caruso sous la douche. » Et je dirais cela des critiques de cinéma. Devant ce nivellement de l’information, cette façon de tout mettre sur le même plan, la critique est plus importante que jamais. Sauf qu’elle a perdu un peu de son écho.

Il y a dix ans, dans le numéro 500 de Positif, vous écriviez qu’à vos débuts, en 1963, « on avait le sentiment que du cinéma, on pouvait tout attendre ». Est-ce toujours vrai aujourd’hui?

Si je ne le croyais pas, j’arrêterais, cela voudrait dire que le cinéma est mort. Et si je ne pensais pas que l’on puisse trouver, chaque mois, suffisamment de sujets intéressants pour faire 112 pages, même si un tiers de ces pages est consacré au passé, on ne ferait plus non plus la revue. On a encore des films qui nous donnent confiance dans le cinéma – Vous n’avez encore rien vu de Resnais me stupéfie par son originalité, l’audace, le fait qu’il ne ressemble à rien. Quand je vois un film comme celui-là, ou The Master de Paul Thomas Anderson, Au-delà des collines de Cristian Mungiu, Tabu de Miguel Gomes ou Beasts of the Southern Wild de Benh Zeitlin, cela m’exalte. Je vais mettre un bémol: il y a moins d’occasions de se réjouir qu’il y a 40 ans. Si l’on regarde les numéros de Positif, on voit que des films magnifiques étaient traités en deux pages. Aujourd’hui, on en ferait dix. Mais on ne pouvait pas à l’époque, il y avait trop. Ce qui s’est passé entre 1955 et 1975 est inouï: ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui, il n’y a pas autant de génies qui travaillent dans le monde…

(1) CLASSICS BY POSITIF, JUSQU’AU 31 DÉCEMBRE À LA CINEMATEK, À BRUXELLES. RENCONTRE AVEC MICHEL CIMENT, DIRECTEUR DE LA PUBLICATION, ET HUBERT NIOGRET, CRITIQUE, LE 11 NOVEMBRE, EN PRÉLUDE À LA PROJECTION DE HANA-BI.

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À PARIS

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