Laurent Raphaël

Les animaux crèvent l’écran

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Âne dans Eo, vache dans Cow… Les animaux pullulent sur les écrans. Et pas seulement dans des comédies familiales. Le cinéma d’auteur aussi en pince pour les bêtes, leur sort questionnant notamment notre rapport à la nature et à la mort. Etat des lieux.

Ces derniers temps, la programmation culturelle ressemble un peu au sommaire de 30 millions d’amis, l’émission animalière culte de France 3. Un âne par-ci, un cochon par-là, on ne compte en effet plus les films, séries, romans ou bandes dessinées qui font leur casting dans les fermes ou dans les zoos. Cela va du classique dessin animé pour petits et grands enfants (Les Bad Guys chez Dreamworks, Alerte rouge chez Disney, pour n’en citer que deux sortis cette année) à l’adaptation en série télé de l’une ou l’autre saga littéraire.

C’est le cas notamment de la nouvelle grosse production His Dark Materials (À la croisée des mondes en VF) dont la troisième saison débarque sur BeTV à partir du 8 décembre (lire page 38). Fruit de l’alliance entre HBO et la BBC -le meilleur des deux mondes anglo-saxons en somme-, cette fable fantasy aux accents féministes s’inspire de l’univers riche et complexe de la trilogie éponyme de Philip Pullman. Particularité: chaque humain, dont l’héroïne de 12 ans, y est affublé d’un animal qui parle. Ces “dæmons” ne sont pas là pour faire de la figuration puisqu’ils reflètent la personnalité profonde des personnages et accentuent la charge émotionnelle des thèmes abordés, comme le passage douloureux à l’âge adulte.

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Dans un registre plus réaliste, on aurait pu aussi épingler La Fille au cœur de cochon, le road movie qui raconte l’échappée belle de deux ados bien décidés à sauver de l’abattoir une truie prénommée Fleur. Hébergée sur la plateforme de France TV, cette minisérie familiale qui se déroule dans les Pyrénées délivre une réflexion critique sur l’élevage industriel, non sans pincer une corde morale sensible, la fille du duo s’étant fait greffer un cœur de… porc.

Même le cinéma d’auteur s’intéresse à la cause animale. Le plus bel exemple, on le doit au vétéran polonais Jerzy Skolimowzski (84 ans), dont le Eo, à l’affiche en ce moment, a fait sensation à Cannes (Prix du Jury). Il fallait oser imaginer ce récit marchant dans les pattes d’un âne dont le chemin de croix à travers l’Europe en dit surtout long sur la violence des hommes. C’est d’ailleurs souvent la raison de la présence d’un bestiaire au générique: montrer le vrai visage des humains à travers le traitement qu’ils réservent aux espèces “inférieures” (une hiérarchie dénoncée aujourd’hui par les antispécistes). Une parabole de l’existence que l’on retrouve également au coeur du formidable documentaire que la réalisatrice Andrea Arnold consacre à une vache laitière dans Cow. Entre la condition bovine et la condition humaine, il y a plus de points communs que de différences…

© National

Du simple animal de compagnie à l’anthropomorphisme, il n’y a qu’un pas. Que beaucoup d’artistes n’ont pas hésité à franchir. Jean de La Fontaine hier, avec ses fables morales -“Je me sers d’animaux pour instruire les hommes”, affirmait-il-, Wes Anderson plus près de nous, avec un Fantastic Mr. Fox d’anthologie révélant sous les masques l’animalité qui sommeille en chaque individu. La preuve que bête ne rime pas forcément avec bébête. Entre les braves bestioles de Disney et les dérives totalitaires de la basse-cour de La Ferme des animaux de George Orwell, il y a de la place pour toutes les expressions humaines. Même pour la doux-dinguerie. Ce que Quentin Dupieux s’efforce de démontrer de film en film, lui qui a mis en scène une mouche géante (Mandibules), et convoque encore un barracuda et un rat parlant dans sa dernière loufoquerie Fumer fait tousser (lire la critique page 21).

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Les animaux dans la fiction, c’est évidemment une vieille histoire… Il faudrait une thèse de doctorat pour en faire le tour. Et encore. Cette fascination remonte à la préhistoire, puis s’est enrichie à l’époque des pharaons dont les divinités portaient fièrement des têtes de chien, de chacal, de faucon ou de crocodile. Au début de l’ère chrétienne, la Bible en a remis une couche dans le storytelling avec l’Arche de Noé et ses passagers. On connaît la suite: dès 1904, Colette donnait le ton d’un siècle très chien et chat avec l’irrésistible Dialogues de bêtes. Une faune allait ensuite envahir les plateaux et les dessins animés, des plus pacifiques (Beethoven, Jumbo, Babe…) aux plus menaçants (King Kong, La Planète des singes…). Aujourd’hui, avec les menaces sur le climat, les méfaits de l’élevage intensif et la prise en compte de la souffrance animale, cette présence a pris un tour plus politique. Comme un parfum de coup d’État dans la chaîne alimentaire…

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