Le Studio des Variétés, coach des musiciens émergents

© LOLA REYNAERTS
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Depuis 2012, le Studio des Variétés propose un accompagnement pour les groupes du sud du pays. Explications avec son nouveau directeur, Michael Larivière, alias Redboy. Coach me if you can

Il faudra bien un jour dresser le bilan de quinze ans de télé-réalité musicale. Comment celle-ci a pu éventuellement aider l’industrie pop à ne pas sombrer complètement au cours de la crise du piratage. Comment, surtout, en faisant mine de dévoiler les coulisses de l’usine à rêves, elle a paradoxalement contribué à son réenchantement. Montrez l’arrière du décor, faites-en un divertissement, les paillettes n’en brilleront que davantage… Avec cet effet colatéral: l’émergence de la figure du coach, mi-gourou, mi-tailleur de diamant brut. À ce sujet, il ne faut pas attendre longtemps pour que Michael Larivière, aka Redboy, précise les choses. Il y a quelques mois, il est devenu le nouveau directeur artistique du Studio des Variétés, une structure qui propose des… coachings aux artistes. « Le mot coach est un peu délicat, il peut faire peur… Soit à cause de la connotation entraîneur sportif. Soit à cause de tout le côté The Voice justement. Or, on n’est pas vraiment là-dedans, ce n’est pas ce qu’on propose. » Pas question ici de faire tourner les fauteuils ou de trouver les « nouvelles stars ». Pas plus que de jouer le rôle d’une école ou d’une académie, insiste l’intéressé. L’ambition est ailleurs: « offrir un accompagnement pour les artistes, afin de leur donner des outils pour progresser ». Y compris d’ailleurs pour ceux qui ont démarré via… un télécrochet. À l’instar d’Alice on the Roof ou de Blanche, alias Ellie Delvaux, découverte lors de la cinquième saison de The Voice, et qui représentera la Belgique lors du prochain concours Eurovision.

Car, au final, tout le monde est d’accord: le talent ne suffit pas toujours. Il faut aussi prévoir « de la sueur et des larmes ». Ou en tout cas pas mal de boulot. Ce n’est pas Michael Larivière qui dira le contraire. Leader, chanteur et guitariste de MLCD et Hollywood Porn Stars, producteur pour d’autres, il n’a cessé d’enquiller les concerts, ici et ailleurs. « Mais au tout début, j’étais très nul sur scène. J’étais mal à l’aise, tout seul avec ma guitare, je regardais tout le temps mes pieds. Ce n’est qu’avec la pratique et l’expérience que j’ai commencé à maîtriser davantage l’exercice. En cela, un coaching scénique comme en propose le Studio des Variétés permet de gagner énormément de temps. En trois jours, il y a moyen d’avancer autant qu’en 30 dates de concerts! » Et d’insister: « C’est d’autant plus important qu’aujourd’hui, vous pouvez très vite vous retrouver à jouer sur de grandes scènes, quasi du jour au lendemain. Récemment, j’ai pu bosser avec des gars comme Mustii ou Grandgeorge, qui se sont retrouvés à faire des festivals alors qu’un an à peine auparavant, ils n’avaient jamais donné un seul concert de leur vie… »

Soutenue par la Fédération Wallonie-Bruxelles, la structure a été lancée en 2012. Elle est directement inspirée de l’exemple français. Fondée en 1983 par le ministre de la Culture Jack Lang, le Studio des Variétés est une véritable institution dans l’Hexagone, proposant des tas de formations, ateliers créatifs, résidences d’artiste, etc. Une machine de guerre par laquelle passent chaque année des dizaines d’artistes. De tous les genres, de tous les styles -« d’où l’appelation de Studio des Variétés ».

Le principe est à peu près identique pour l’antenne belge: n’importe quel artiste de la Fédération Wallonie-Bruxelles peut s’inscrire à une série de coachings, à raison de 45 heures par an maximum. Les séances sont gratuites et données un peu partout, s’appuyant sur une série de salles existantes, comme le Botanique ou la Madeleine à Bruxelles, le Vecteur ou l’Eden à Charleroi, le Reflektor à Liège, etc. Seul critère pour profiter du programme: que l’artiste bénéficie déjà d’un minimum d’encadrement -qu’il s’agisse d’un label, ou même simplement d’un manager ou d’un tourneur. « Certains n’ont pas encore joué leurs morceaux sur scène, ou n’ont qu’une vingtaine de minutes de musique à proposer. Pour nous, c’est encore un peu tôt pour travailler. » Avant cela, des aides à la résidence proposées par le Programme Rock permettaient déjà aux groupes de se payer une salle, voire le services d’un ingénieur du son, pour préparer les concerts. Avec le Studio des Variétés, l’idée est de dépasser le simple soutien « technique » et de profiter « de l’expérience d’un autre artiste expérimenté ». « Mais sans jamais glisser vers la direction artistique ou la mise en scène. On va plutôt être dans la suggestion, le dialogue, en posant beaucoup de questions, en faisant réagir… »

Michaël Larivière est arrivé en avril dernier, à la tête du Studio belge. Juste avant, il a pu suivre une formation de quatre mois à Paris. « En fait, à côté de mes projets perso, j’ai toujours multiplié les activités dans la musique: que ce soit en co-fondant un label (JauneOrange, NDLR), en faisant un peu de management, en produisant d’autres artistes… Ou encore, comme je le fais depuis huit-neuf ans, en accompagnant des groupes pour la scène. Par exemple en préparant les finalistes du tremplin organisé par la Ferme du Biéreau à Louvain-la-Neuve, ou ceux du Concours Circuit. Au bout du compte, j’ai réalisé que c’était ce que je préférais faire. C’est très créatif, vous n’avez de compte à rendre à personne, vous êtes tout le temps en train d’inventer de nouvelles choses… »

Ce que Redboy a mis en place plus ou moins intuitivement au fil des ans, il le formalisera lors de son séjour au Studio parisien. Notamment grâce à des cours de psychopédagogie. Puisque c’est bien de cela qu’il s’agit. Mettre au point des astuces, des techniques pour que les artistes dénichent eux-mêmes les solutions, les bons leviers. « Dans tous les cas, l’artiste reste maître du projet. C’est le musicien lui-même qui va devoir trouver les solutions. » Comment exactement? « Un magicien ne dévoile jamais ses tours, s’amuse Redboy. Sans rire, ce n’est rien de très sorcier… Généralement, après une heure de discussion générale, on rentre plus profondément dans les morceaux. C’est là que cela commence à vraiment les intéresser. Parce qu’ils ne savent pas toujours bien eux-mêmes de quoi parle leur chanson. Ils l’ont écrite à un moment particulier, mais ils ne sont plus dans ce moment. Comment faire pour transmettre l’émotion de départ dans un autre contexte que celui dans laquelle elle est née? C’est ce qu’on appelle la naissance de l’interprète, qui nécessite de repréciser ce qu’on veut faire passer. »

Le coach aide plus à accoucher qu’il ne dirige. « Étymologiquement, le mot, d’origine hongroise, désignait le cocher, qui conduisait les carrosses. C’est lui qui vous amène d’un point a à un point b. Mais c’est vous qui avez fixé la destination. »

Made in Belgium

Michaël Larivière n’est pas le seul à s’occuper du coaching scénique. Cédric Van Caillie, chanteur de Balimurphy, fait également partie d’un casting de « profs », qui s’est « belgicisé » depuis quelques mois. « Au départ, le Studio s’appuyait beaucoup sur les Français qui donnaient les formations à Paris. C’est encore le cas , mais de manière plus ponctuelle. » Conséquence directe, et très concrète: en s’appuyant sur des ressources locales, la structure a pu économiser pas mal de frais (de Thalys et d’hôtel). « Au lieu des seize groupes que l’on prenait chaque année, on a pu aider en 2016 près de 25 artistes. »

À côté de la scène, le Studio propose également des formations aux médias et des coachings pour préparer l’exercice de l’interview. Sont aussi prévues des séances sur la technique du spectacle (son et lumière), ou encore des coachings pour travailler son anglais. Vu le boum de la scène rap belge, des ateliers hip hop ont également été mis en place, animé par Kaer (Starflam). Et puis est évidemment proposé un coaching vocal. Il est donné par Birgid Volens, « une prof super, qui a été chanteuse à l’Opéra Garnier, a fait du metal, et donne des impros jazz à New York tous les deux mois ».

Reste la question classique, certes un peu naïve mais inévitable: le rock, avec tout ce qu’il peut avoir de spontané et d’anti-académique, est-il soluble dans un apprentissage? Peut-il à la fois célébrer le DIY et être « enseigné »? « C’est pour cela que nous ne sommes pas une école, précise Redboy. On a travaillé avec Baby Fire par exemple, qui a une attitude très alternative. Un groupe comme The K, aussi, ou pas mal de « métalleux ». Les mentalités sont en train de changer. Quand on demande aux artistes quelles sont leurs références, quels sont les groupes qu’ils préfèrent, on leur rappelle que ceux-ci ont souvent bossé dur. C’est un métier… De toute manière, avant de vous lancer dans une tournée, vous vous retrouvez d’office à louer une salle pour préparer les concerts. Avec ce désavantage de ne pas toujours avoir assez de recul pour vous évaluer vous-mêmes. Personnellement, je ne me suis jamais vraiment fait coacher. À regret. Il m’a fallu dix ans pour que se produise une série de déclics… »

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