Le roi Albert s’en est allé

Un dessinateur de génie dont la modernité du dessin fera toujours de l'ombre à ses suiveurs. © Philippe Cauvin
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Albert Uderzo s’est éteint le 24 mars à l’âge de 92 ans. Le créateur d’Astérix, en 1959, avec René Goscinny, restera l’un des plus grands dessinateurs français du xxe siècle, tant par le succès, que le talent ou l’aura.

Merci. Sur les réseaux sociaux, quelques heures après la mort d’Albert Uderzo, survenue le 24 mars d’un infarctus dans sa résidence de Neuilly-sur-Seine, tel est le mot qui s’imposait partout dans les hommages rendus au dessinateur de trente-deux albums d’ Astérix (et scénariste de huit), sur les murs virtuels de ses innombrables lecteurs mais aussi, surtout, ceux de ses pairs, qui lui doivent tous quelque chose. Pionnier de la bande dessinée dite franco-belge, reconnu comme l’un de ses plus grands virtuoses, Uderzo aura marqué de son empreinte le neuvième art, et pas seulement pour son exceptionnelle production (longtemps, il a produit jusqu’à six planches hebdomadaires, entre Astérix, Tanguy et Laverdure et Oumpah-Pah), l’extraordinaire popularité de son petit Gaulois ou son improbable longévité.

Né en 1927, publié dès 1941, Uderzo, s’il avait abandonné définitivement le dessin et cédé la production d’Astérix en 2013, continuait à en superviser et les scénarios, et les dessins. Et n’a jamais cessé de s’étonner lui-même de son propre succès: « Lorsque nous avons créé cette série avec René (NDLR: Goscinny), il ne s’agissait que d’un petit personnage et de son ami Obélix », expliquait ainsi le dessinateur dans un de ses derniers entretiens, accordé au Vif/L’Express il y a près de dix ans: « Notre rêve n’était pas de devenir Disney, pour lequel nous avions une immense admiration. Et puis il y a eu le succès, le parc Astérix, les dessins animés, les films. Mais nous, notre seule envie, au fond, c’était d’amuser les gens. »

Des débuts à la dure

De loin, l’histoire d’Uderzo pourrait être celle d’un rêve français, comme Walt Disney, un de ses grands modèles, fut l’incarnation du rêve américain. Né Italien dans une famille d’immigrés, Français à 9 ans, Uderzo rencontrera son destin par deux fois. D’abord dès l’adolescence avec la lecture de Mickey et les cartoonistes américains, dont il reconnaîtra toujours l’énorme influence sur son dessin à la fois lisible et vivant, et un des rares à pouvoir naviguer de l’humoristique au réaliste, au sein parfois des mêmes cases et compositions; Floyd Gottfredson, Milton Caniff, Alex Raymond faisaient partie de ses maîtres, comme le fut l’Italien Calvo, dont il força, jeune dessinateur, la porte d’atelier. Quinze ans durant, d’illustrations en histoires courtes, et d’essais de séries en travaux publicitaires, le jeune Uderzo apprend alors son métier à la dure, produisant frénétiquement sans rencontrer le succès. Les éditeurs français et belges, dont Dupuis, n’appréciaient guère son goût du grotesque et son style jugé trop caricatural – « On me disait que les enfants ne pouvaient pas s’identifier à mes personnages! », devrait-il ironiser plus tard.

Le roi Albert s'en est allé
© ASTERIX – OBELIX – IDEFIX / 2020 LES éDITIONS ALBERT RENé / GOSCINNY – UDERZO

Il fallut en effet la création de Pilote, en 1959, pour pouvoir accueillir sa dernière création, un petit Gaulois et son gros copain porteur de menhir, affublés de noms rigolos et imaginés avec René Goscinny, l’autre grand rendez-vous de son destin exceptionnel. Ces deux-là se sont trouvés, il n’y a pas d’autre mot, dans un bureau de l’International Press au début des années 1950, et seule la mort aura pu les séparer (Goscinny est décédé d’une crise cardiaque en 1977). La verve de l’un a immédiatement fait « tilt » avec le dessin expressif de l’autre, jusqu’à trouver sa parfaite résonance dans Astérix, avec un succès phénoménal.

Du premier album tiré à 6.000 exemplaires jusqu’au dernier en date, distribué à plus de cinq millions d’exemplaires, Astérix est devenu une part importante de la culture et de l’identité françaises, dont la success story ne donne qu’un aperçu: 370 millions d’albums vendus, 111 traductions, 10 films d’animation, 4 films live, un parc d’attraction, des centaines de licences… Astérix est au fil des années devenu un empire culturel et financier, qui aura fait d’Uderzo un homme (très) riche et exubérant – outre de nombreux placements immobiliers, ce fils d’ouvrier aimait collectionner les Ferrari, et fit sensation en accueillant un vrai avion de chasse Mirage dans son jardin, référence à sa seule série purement réaliste et vite abandonnée avec le succès des Gaulois, Tanguy et Laverdure.

Une oeuvre gigantesque, une fortune colossale

Ce basculement dans un autre monde, celui des affaires et de l’argent, aura terni les dernières décennies de l’artiste, marquées par de nombreux conflits judiciaires: d’abord avec Dargaud son éditeur historique, dont il s’est séparé avec fracas à la mort de Goscinny pour créer sa propre maison d’édition, Albert René, consacrée à sa seule création – et revendue à Hachette en 2008. Ensuite avec sa propre fille, à travers une saga familiale et judiciaire qui fit les gros titres, pas très glorieux, jusqu’en 2014, et la reprise définitive de la série de sa vie par Ferri et Conrad, auteurs des quatre derniers albums. Longtemps conspué pour avoir poursuivi les scénarios d’Astérix sans la présence (et le talent) de Goscinny, et caricaturé à force d’apparitions à la rubrique des faits divers, Uderzo avait retrouvé ces dernières années l’aura qui aurait toujours dû être la sienne: celle d’un dessinateur de génie dont la vitalité et la modernité du dessin feront toujours de l’ombre à ses suiveurs. Il laisse derrière lui une oeuvre gigantesque, une fortune colossale (dont à peu près 1.300 originaux; le dernier s’est vendu aux enchères à plus de 300.000 euros) et un empire culturel qui devrait évidemment lui survivre, même si, à l’instar de Hergé, Uderzo a plusieurs fois répété qu’Astérix mourrait avec lui… D’ici là, que dire d’autre… que merci?

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Pour aller plus loin: les influences de ses débuts, dans le papier « MuscUderzo » paru dans la revue Tonique d’avril 2017, à lire ci-dessous:

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