Serge Coosemans

Le rock à Bruxelles est-il encore rentable?

Serge Coosemans Chroniqueur

Le DNA, l’un des deux bars jusqu’ici strictement rock de Bruxelles, s’ouvre à la house, à la deep-house, à la soul et au hip-hop. Scandale et traîtrise pour les uns, évolution inévitable pour les autres; tout cela posant au final une question vertigineuse: le rock est-il encore rentable à Bruxelles? Sortie de Route, S04E21.

Que d’histoires autour du DNA, bar de Bruxelles depuis 30 ans et jusqu’ici plutôt connoté rock et même punk qui serait en passe de se transformer en petite boîte R&B. C’est du moins ce que persifle la rumeur, vu que très officiellement, le DNA ne fait que « changer de ligne directrice », programmant désormais tous les vendredis et samedis des djs chargés de viser un public plus large que celui qui a bâti mais aussi, il faut bien l’admettre, parfois tâché la légende de ses murs. Selon un communiqué des gérants, cette ouverture à d’autres musiques permettra tout simplement de survivre, car « se limiter au rock aujourd’hui n’est malheureusement plus possible. » Le DNA ne deviendrait toutefois pas stricto sensu un bar R&B, encore moins mainstream, mais on y programmera effectivement le week-end de la house (Daniel Wang aux platines le 14 février!), de la deep-house, du hip-hop et de la soul, alors qu’en semaine, les concerts rock, métal « et autres » resteront bienvenus, « contrairement à ce qui a pu se dire ». Bref, c’est un peu comme si Jef Stoemp, icône des brasseries bruxelloises, se serait soudainement lancé dans le sushi. Encore que si c’était le cas, je pense qu’il aurait été encouragé par les commentateurs du secteur, et sans doute même applaudi pour son audace. Or, ici, les habitués hurlent plutôt à la traîtrise. Pire, il court même une rumeur dans la nuit que certains d’entre eux pourraient venir perturber les soirées du week-end et même carrément « tondre » les responsables de ce changement de direction artistique.

Faut reconnaître qu’au niveau de la communication, on a vu mieux. Choisir pour un bar jadis strictement rock et désormais beaucoup plus éclectique le slogan « Good music for Good people » rappelle drôlement comment on passa de la tenue correcte de Radio 21 à la débâcle de Pure FM avec quasi les mêmes mots. Je dois toutefois vous avouer quelque-chose qui pourrait moi aussi me coûter la frange: je n’ai jamais pu piffer le DNA. Même durant son âge d’or, quand on pouvait y croiser Front 242 et La Muerte en train de vider des bacs de trappistes au comptoir ou Echo & The Bunnymen et les Stranglers en train de draguer des copines de classe, j’ai toujours trouvé que ce n’était pas beaucoup plus qu’un trou à rats et à dikkeneks ayant du rock une véritable conception d’ayatollahs. Mes activités et mes vacances m’ont mené dans de nombreux bars rock en Angleterre, en Irlande, au Québec, en France, en Allemagne, en Tchéquie, en Espagne et même en Flandre et j’y ai toujours trouvé mon compte, mes aises, des amitiés de comptoir et le plaisir des oreilles, alors qu’à chaque fois que je foutais un pied au DNA, j’avais par contre l’impression de tomber au milieu d’un combat de vaniteux coquelets, d’une représentation folklorique qui consisterait à faire perdurer les pires clichés associés au rock (hooliganisme culturel, conservatisme, homophobie, machisme, pose de kékés…) C’est mon avis. S’il vous fait crisser les ratiches, vous pouvez toutefois ranger la tondeuse, parce que d’un autre côté, je suis en fait aussi pleinement d’accord avec tous ceux que la nouvelle direction artistique irrite, alors que c’est pourtant bien davantage mon propre kif que le rock à tonton (celui à papa, c’est Joe Cocker). Quand on vit dans une ville où il y a directement deux bars rock, dont un clairement plus réservé aux étudiants Erasmus calés sur Nirvana qu’au fan-club de Motorhead, il n’y a en effet selon moi pas pire idée que de diluer l’exception dans la banalité, de commencer à programmer un peu de tout comme partout ailleurs plutôt que de continuer contre vents et marées à souffler sur les braises en espérant que le feu, bien évidemment sacré, finisse par franchement reprendre.

Je n’ai jamais pu piffer le DNA. Mu0026#xEA;me durant son u0026#xE2;ge d’or… j’ai toujours trouvu0026#xE9; que ce n’u0026#xE9;tait pas beaucoup plus qu’un trou u0026#xE0; rats et u0026#xE0; dikkeneks ayant du rock une vu0026#xE9;ritable conception d’ayatollahs.

Dans cette affaire, j’entends de loin beaucoup de choses se dire, se tirer comme des balles et des boulets. C’est comme ça depuis quelque temps déjà, depuis que les propriétaires qui ont fait du DNA ce qu’il a été l’ont revendu à quelqu’un qui n’a pas réussi à générer beaucoup de sympathie de la part de son public-cible, qui plus est après une période de gérance elle-même très polémique. Il me semble manifeste qu’il y a eu des erreurs de jugement et des maladresses dans ces transferts de compétences mais je ne me sens pas assez concerné pour franchement enquêter, rencontrer les uns et les autres, peser le pour et le contre de ce qu’avance chacun. Je ne vois en fait dans ces embrouilles pas grand-chose d’autre que le cirque assez habituel qui entoure n’importe quelle reprise de commerce, horeca ou non, dès que les choses ne se passent pas sans accroc. Laissons ces disputes à ceux qui les vivent réellement: ces anciens clients qui s’estiment trahis et insultés, ces quelques grands naïfs qui maintiennent que la rentabilité d’un commerce n’est que secondaire quand il s’agit de représenter une culture alternative. A d’autres zigues encore, comme ces crevards qui assistent aux concerts gratuitement sans ne jamais rien consommer sur place, préférant acheter leurs bières au night-shop d’à côté et les consommer sur le trottoir. Ca, ce n’est pas que le DNA. C’est Bruxelles, son habituel petit folklore alternatif, son manque misérable de savoir-vivre, sa punkitude descendant souvent plus de la paysannerie locale que de Brian James et Jeffrey Lee Pierce. Le vertige, le gros dossier, le sujet en or, ce n’est pas ça. C’est plutôt la question soulevée par le communiqué de presse: « le rock est-il encore rentable à Bruxelles, en 2015? » Certains pensent que non, d’autres que oui, moi, je ne sais pas. On peut en discuter sur la page Facebook de Sortie de Route. Ca donnera matière à d’autres chroniques. Un véritable feuilleton même, sans doute…

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