AVEC DJANGO UNCHAINED, ÉQUIPÉE VENGERESSE D’UN ANCIEN ESCLAVENOIR DEVENU CHASSEUR DE PRIMES, QUENTIN TARANTINO S’ATTAQUE À SON GENRE DE PRÉDILECTION, LE WESTERN SPAGHETTI. ET DÉGAINE À TOUT-VA…

S’il ne fallait reconnaître qu’une qualité à Quentin Tarantino, ce serait de savoir être parfaitement en phase avec son époque; à croire qu’il lui est possible de fixer l’air du temps sur cette pellicule à laquelle il reste indécrottablement attaché. Un film, Reservoir Dogs, lui aura suffi à imposer un style, un cocktail référencé et cool qui trouvait dans ce polar nerveux et finaud à la fois un terrain d’expression sur mesure. Un quarter pounder with cheese plus loin et le réalisateur de Knoxville, Tennessee, accédait au panthéon, cinéaste de genre(s) se voyant adoubé par le festival de Cannes, la Palme d’or à Pulp Fiction à l’appui. Si Jackie Brown, qu’il tourna dans la foulée, demeure pour beaucoup son chef-d’oeuvre, ce n’est pas pour autant que l’étoile de Tarantino ait pâli aux yeux de ses aficionados pendant les quinze années qui l’ont vu, depuis, se répandre dans un registre répétitif, tout en revisitant une histoire du cinéma bis. Alors que l’on a coutume de présenter la vengeance comme un plat qui se mange froid, il semble pour sa part le préférer réchauffé, lui qui en a fait le ressort quasi exclusif de sa filmographie depuis Kill Bill, la déclinant en mode mariée, « chicks », juive et enfin noire –Django Unchained, western spaghetti sur arrière-plan de Sud esclavagiste, « une quête romantique » à l’en croire.

No comment

Ses films sont saturés de références à la pop culture? Quentin Tarantino ne laisse à nul autre, ou alors si peu, le soin d’être la star de son cinéma. Pour preuve, la fièvre qui, à son arrivée dans une suite d’un palace new-yorkais, s’empare de la tablée de journalistes à qui il vient parler de ce nouvel opus. Le rictus carnassier en option d’une mise avenante, le réalisateur peut néanmoins se révéler chatouilleux -le genre à opposer des réponses lapidaires aux questions n’ayant pas l’heur de lui plaire. Ainsi, sur la politique en matière de détention d’armes à feu aux Etats-Unis, sujet d’autant plus brûlant que l’interview se déroule quelques heures, à peine, après le massacre de Newtown, en décembre dernier. « Je n’ai pas d’opinion sur la question », se borne-t-il à déclarer alors; un peu court, en tout état de cause, pour un cinéaste ayant fait de la violence une part non négligeable de son fonds de commerce, et dont l’on se souvient qu’il prêtait à Tracie Thoms/Kim, dans Death Proof, un discours vengeur semblé sorti tout droit d’un manuel de la National Rifle Association.

Même topo, de prime abord, s’agissant de la controverse prévisible à l’endroit d’un film traitant, en tarantinorama, d’une question aussi sensible que celle de l’esclavage aux Etats-Unis (et dont Spike Lee, son meilleur ennemi, se chargera quelques jours plus tard d’attiser le feu): « Sans doute le film va-t-il apparaître, quelques semaines durant, trompeusement controversé. Mais cela résulte du fait que, sortant ces jours-ci, il se trouve sous le feu des projecteurs et est analysé à la loupe. Dans neuf semaines, que restera-t-il de cette controverse? Et qu’en sera-t-il dans six mois, quand vous le regarderez sur Showtime, installé en sous-vêtements dans votre canapé à quatre heures de l’après-midi? » Voire…

Chassez le naturel, et il revient toutefois au galop. Et celui de Quentin Tarantino est plutôt prolixe -normal, après tout, si l’on considère que le babil incessant est une autre de ses marques de fabrique, déposée dès la scène d’ouverture de Reservoir Dogs en forme de dissertation allumée sur le Like a Virgin de Madonna. Puisque l’on insiste, le voilà qui consent d’ailleurs à s’appesantir quelque peu sur le sujet qui offre sa toile de fond à Django Unchained. « L’arrière-plan de l’histoire est sérieux et douloureux, c’est vrai. La plupart des nations doivent composer avec des atrocités criminelles qui émaillent leur passé. Mais si beaucoup ont été amenées à en parler, il en a été différemment de l’Amérique avec l’esclavage au cours de ces 100 dernières années, que ce soit par omission ou par désir d’éviter le sujet, une attitude commune aux Blancs et aux Noirs d’ailleurs, qui ne souhaitaient pas avoir affaire avec cette atroce vérité. Je n’ai pas pour autant envisagé ce film comme un Goodbye Uncle Tom ou un Schindler’s List dont le propos aurait été de vous plonger dans ce passé pour vous montrer combien tout cela avait été atroce et douloureux. J’ai voulu raconter une histoire d’aventures excitante ayant cette toile de fond, et placer le public du monde entier dans le Sud d’avant la Guerre de Sécession pour lui en donner un aperçu. »

Wagner au pays du western spaghetti

L’histoire de Django, le réalisateur raconte en avoir eu la première inspiration il y a huit ans déjà, lorsqu’il décide de s’atteler à la réalisation d’un western spaghetti, genre chéri d’un cinéaste cinéphage, qui se souvient l’avoir découvert enfant avec la « trilogie du dollar » de Sergio Leone, vue en compagnie de sa mère« qui avait le béguin pour Clint Eastwood »; le titre du film n’est par ailleurs rien d’autre qu’un hommage à Sergio Corbucci, autre auteur de westerns transalpin vénéré par Tarantino. « Je suis un grand fan du cinéma de genre italien, dont j’apprécie la qualité opératique, mais aussi cette façon qu’ont les Italiens de s’emparer de genres précis pour en faire quelque chose qui leur soit propre. J’ai intégré des influences du western spaghetti et de ses techniques esthétiques dans tous mes films, il est donc amusant de finir par en réaliser un vrai. Même si on ne peut plus faire un authentique western spaghetti de nos jours, pas plus que l’on ne pourrait tourner un pur film noir: il s’agit, pour bonne partie, de produits de leur époque. »

Conséquent, Quentin a veillé à faire de Django Unchained du pur Tarantino -soundtrack dépotant, de Morricone, bien sûr, à Rick Ross et autres James Brown et 2Pac; violence crue et graphique; humour d’un goût relatif; punchlines débitées au cordeau; emprunts à la série Z; film jouant sur l’étirement du temps et préférant l’enchaînement de moments à une narration classique… Le cahier des charges est peu ou prou respecté à la lettre, caméo explosif du réalisateur compris. Et jusqu’à l’apparition de l’une ou l’autre vieille gloire arrachée à l’oubli -elles sont deux, pour le coup, Franco Nero, le Django originel, et Don Miami Vice Johnson. Mieux qu’une coquetterie ou un maniérisme, il y a là pour ainsi dire une profession de foi: « J’écris des personnages qui me plaisent, et je cherche les comédiens appropriés pour les interpréter. Beaucoup de personnes procèdent de la sorte dans le métier, mais la plupart s’en tiennent à une liste de gens qui sont alentour, ceux que l’on a pu voir à l’écran dans les trois ou quatre dernières années. Ma liste personnelle d’acteurs avec qui je pourrais envisager de travailler est très longue: pour y figurer, le tout est que je les apprécie, et qu’ils soient toujours en vie. » Et de se lancer, dans la foulée, dans un éloge circonstancié de Don Johnson, de The Magic Garden of Stanley Sweetheart à Return to Macon County, en geek assumé enfin rendu à son passe-temps favori, la cinéphilie frénétique. Et conforme en cela à la légende qu’il s’est forgée depuis l’époque où il travaillait dans un vidéoclub. « Je vis dans une sorte d’étude constante du cinéma qui ne prendra fin qu’avec ma mort », pronostique-t-il, évoquant le plaisir éprouvé à l’immersion compulsive dans l’oeuvre d’un acteur ou d’un réalisateur.

Monomaniaque, Quentin Tarantino? Sans doute. Mais de même qu’il voit en guise de fil rouge à sa filmographie le fait que ses personnages y avancent masqués -« ils prétendent toujours être quelqu’un qu’ils ne sont pas »-, il lui arrive de vouloir donner le change. Django Unchained retrace ainsi le destin d’un ancien esclave noir (Jamie Foxx) reconverti chasseur de primes à l’invitation d’un (faux) dentiste allemand itinérant (Christoph Waltz). Chemin faisant, Tarantino fait rimer son histoire avec la geste de Siegfried et Brünnhilde, en un télescopage pour le moins inattendu avec Wagner et le romantisme allemand. L’or du Rhin au pays du western spaghetti? En matière de recyclage, le mélange des genres est désormais la norme, il est vrai. Et l’on y verra, qui sait, une manière de renouvellement pour un auteur qui concède, au moment de prendre congé, avoir sans doute fait le tour des genres qu’il pourrait encore malaxer à sa façon…

ENTRETIEN JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À NEW YORK

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