Le rapport Vehlmann

L’Antiquité a eu Ovide, les années 50 les rapports Kinsey, les seventies le rapport Hite. Il faudra dorénavant compter avec L’Herbier sauvage de Fabien Vehlmann.

Dans l’univers de la bande dessinée, l’art de raconter une histoire n’est pas donné à tout le monde et deux mains suffisent à compter les vrais bons scénaristes. Fabien Vehlmann est de ceux-ci. De la BD jeunesse aux histoires pour adultes, son éventail est large. Mais rien dans ses scénarii ne laissait particulièrement soupçonner un quelconque intérêt pour les choses du sexe. Avec la parution en 2016 du premier tome de L’Herbier sauvage, l’homme est sorti du bois. Au lieu de s’aventurer sur la pente casse-gueule d’un scénario érotique, il a coiffé une casquette d’anthropologue et s’en est allé à la chasse aux histoires de sexe de ses contemporains. Comme il l’explique dans la préface des deux albums, le principe est simple: Fabien recueille par écrit, pour éviter l’intimidant dictaphone, les souvenirs, rêves érotiques ou fantasmes de gens qu’il rencontre. Tout reste anonyme, il change dates, lieux et noms. Il n’est pas là pour juger et ne cherche pas non plus le sensationnel: ce qu’il veut, c’est la sincérité. Ce qui l’intéresse, c’est  » in fine de repérer les herbes folles qu’(il) affectionne, ces plantes rares et sauvages qui viendront enrichir la collection de (son) herbier« . Afin de délier les langues et pour entrer plus rapidement dans le vif du sujet, il propose à son interlocuteur de tirer trois cartes d’un paquet, sur lesquelles sont posées des questions. Elles ne seront jamais révélées au lecteur, au mieux pourra-t-il en deviner quelques unes au détour d’un récit. Mais ce n’est pas là que réside l’intérêt. Celui-ci se trouve bien évidemment dans le sujet de l’ouvrage: comment mon voisin fait-il l’amour? Suis-je le seul à aimer ça? Que fait ma voisine de palier quand vient la nuit? Bref, dans un monde de performances étalées sur la toile mondiale, on peut se réjouir de cette simplicité authentique.

Le rapport Vehlmann

L’art de planter le décor

Ici nous est dévoilé tout le génie du scénariste qui parvient, à partir d’un matériau brut, commun à tous et à la fois tellement spécifique, à restituer des univers particuliers avec beaucoup d’humilité. Pour faire vivre ses textes rehaussés par les illustrations de David Prudhomme, Vehlmann distille çà et là de manière subtile et intelligente des détails de l’entrevue, les moues de l’interviewé ou les oreilles indiscrètes qui ont capté sur le lieu de l’ent0revue un mot, une phrase, un sujet… incarnant -s’il en était encore besoin- chaque témoignage. Il en exprime l’essence et, comparé à ses illustres prédécesseurs Kinsey et Hite, n’a pas la contrainte d’une étude scientifique mais simplement celle d’une compilation de belles histoires extrêmement touchantes, dont il peut agencer l’ordre de la manière la plus opportune pour une lecture des plus agréables.

L’Herbier sauvage (tome 2)

De Fabien Vehlmann et David Prudhomme, éditions Soleil, 166 pages.

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