De Alberto Torres Blandina, éditions Métailié, traduit de l’espagnol, 160 pages.

On ne se refait pas. Professeur de langue et littérature espagnoles, Alberto Torres Blandina est aussi dramaturge. Et ça se sent à la lecture de ce premier roman charpenté comme une pièce de théâtre. Pas de temps morts, une construction maîtrisée, des répliques savoureuses, et surtout des rebondissements judicieusement disséminés aux quatre coins du récit pour relancer l’attention. Tout se passe dans l’enceinte d’un aéroport, lieu de transit, de brassage, mais aussi sas de décompression entre deux mondes, deux réalités.  » Dans un aéroport, les personnes sont enfin libérées de leur vie quotidienne. Entouré d’inconnus, vous êtes seul. Vraiment seul, comme on l’est rarement« , observe du haut de ses longues années de fréquentation le narrateur. Ni pilote de ligne, ni steward, ni homme d’affaires collectionnant les miles comme d’autres les pièces de 5 cents, Salvador Fuensanta est balayeur. Et dans quelques semaines, il prendra sa retraite. Est-ce cette perspective qui le pousse à nous abreuver d’anecdotes plus farfelues les unes que les autres? De peur peut-être que s’il ne les confie pas rapidement à des oreilles bienveillantes, elles s’évanouiront à jamais dans le brouhaha de la salle d’embarquement? Parfumées de tendresse, d’humour et de fantaisie, ses histoires, que l’on devine cousues du fil blanc des bribes de dialogues chapardées pendant ses longs rounds d’observation, se dégustent avec plaisir. Et sagesse, le technicien de surface se doublant d’un Samaritain, toujours prêt à écouter, consoler et panser les bobos à l’âme de ses semblables. Il balaie le sol autant que les mauvais esprits. Et confectionne en direct des fables abracadabrantes. Salvador émet par exemple l’hypothèse que le Japon n’est en réalité qu’un produit d’appel pour nous vendre des voitures et des téléviseurs. Ce pays n’existe pas, explique-t-il aux voyageurs en partance pour Tokyo. C’est une vitrine, une opération marketing… Volubile, parsemant ses monologues de commentaires avisés sur des pays où il n’a jamais mis les pieds (il n’est même jamais monté dans un avion!), ce personnage attachant fait souffler une brise d’humanité dans un microcosme confiné, métaphore d’un monde globalisé au bord de l’asphyxie. Sans quitter le plancher des vaches, cet homme-là nous emmène en voyage…

L.R.

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