Le grand plongeon

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Après avoir longtemps douté, la trentenaire anglaise se lance dans le grand bain et sort un premier album, ample et spontané.

On a toujours intérêt à se décaler. Ce n’est pas Yazmin Lacey qui nous contredira. Il a par exemple fallu que la Londonienne déménage à Nottingham, et qu’elle ne puisse plus compter sur ses repères habituels, pour se permettre ce qu’elle se refusait jusque-là: chanter. C’était lors d’une fin de soirée, un peu “soûlette”, dans l’arrière-salle d’un pub enfumé. Le genre de moment hors du temps qu’évoque un titre comme Late Night People: mélangeant effluves soul et textures électroniques, la voix traînante de Lacey raconte les rencontres qu’offre la nuit, les possibilités qu’elle ouvre. En l’occurrence, celle qui travaille alors comme éducatrice va plonger dans la scène jazz locale. Et y trouver le soutien pour creuser plus loin. Après une volée d’EP remarqués –Black Moon (2017), When the Sun Dips 90 Degrees (2018) et Morning Matters (2020)-, loués notamment par des oreilles aussi avisées que celles de Gilles Peterson, la chanteuse/songrwiter sur le tard franchit le pas de l’album. Il est à son image: sans prétention, ni esbroufe, mais authentique et profond.

De Soul II Soul à Amy Winehouse, en passant aujourd’hui par des groupes comme SAULT, l’Angleterre a toujours réussi à inventer sa propre version de la soul music. Notamment en puisant dans le jazz ou les musiques issues de l’immigration caribéenne. Sur son premier album, Yazmin Lacey combine les deux. Elle honore par exemple ses racines familiales avec le morceau Tomorrow’s Child, basé sur le cultissime reggae-dub King Tubby Meets Rockers Uptown d’Augustus Pablo. Elle trouve surtout dans le jazz le terrain de jeu qui lui permet de s’exprimer pleinement, à l’instar de Pass It Back, groove insistant, où les guitares ont des fourmis dans les cordes, rythmé par la voix lancinante. Rappelant éventuellement la soul psychédélique d’Erykah Badu, Eye to Eye est une ballade aussi soyeuse que tortueuse, tandis que Sea Glass baigne dans des arpèges de harpe et de guitare acoustique.

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Produit par Dave Okumu (Jessie Ware, Tony Allen, Jane Birkin, etc.), Voice Notes est l’écrin idéal pour Yazmin Lacey, un genre de “safe space” dans lequel elle peut laisser sa voix se déployer librement, y compris dans ses vulnérabilités. S’exposer autant n’était pas forcément évident. En intro, elle évoque ainsi un tweet de Flying Lotus, décrétant que la trop grande “conscience de soi tue la créativité”: J’ai compris que si je voulais avancer, j’allais devoir m’ouvrir, même si ça peut être effrayant.” Sur son premier EP, Yazmin Lacey avait par exemple enregistré toutes les voix, chez elle, avec un simple micro. Six ans plus tard, la grande réussite de Voice Notes est d’avoir gagné en sophistication, sans sacrifier pour autant le côté brut et organique de la démarche. Spontanée comme les notes vocales que l’on dépose sur la messagerie d’un proche…

Yazmin Lacey

Voice Notes ****

Distribué par Own Your Own Records.

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