Critique | Cinéma

Le film de la semaine : Marx Can Wait, le docu très personnel de Marco Bellocchio

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Titre - Marx Can Wait

Genre - Documentaire

Réalisateur-trice - Marco Bellocchio

Durée - 1h31

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Marco Bellocchio fait rimer histoires intime et collective dans un documentaire éminemment personnel revenant sur le suicide de son frère jumeau.

A l’origine de Marx Can Wait, le nouveau film de Marco Bellocchio, il y a une réunion de famille convoquée par ce dernier, histoire de se retrouver une fois encore entre frères et sœurs alors que tous affichent 80 printemps et plus. Mais voilà, en ce 16 décembre 2016, l’humeur n’est guère à la fête, la figure de Camillo, jumeau du cinéaste s’étant suicidé près de 50 ans plus tôt, en 1968, occupant les esprits. Un absent – « l’ange de ce film» – auquel le réalisateur de Buongiorno, notte entreprend dans la foulée de consacrer un documentaire, pour tenter de comprendre.

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Chacun pour soi

On se souvient des collages qui présidaient notamment au magistral Vincere. Bellocchio ne procède pas vraiment différemment aujourd’hui, revenant sur cette tragédie intime à travers un montage d’archives, familiales et autres, et de témoignages, à quoi il adjoint divers extraits de ses films. Frères, sœurs, petits-enfants, sœur de la petite amie, psychiatre, prêtre: ils sont nombreux à s’exprimer, questionnant le destin tragique de Camillo, et retraçant l’histoire familiale, qui se confond avec celle de l’Italie. À la naissance des deux jumeaux, le 9 novembre 1939 – Camillo, le cadet, plus faible, sera baptisé trois fois – vient se superposer le discours de Mussolini consacrant l’entrée en guerre de l’Italie le 10 juin 1940, puis, en 1945, la libération de Piacenza, où résident les Bellocchio, royalistes alors que le pays opte pour la république. Qu’à cela ne tienne, la vie continue, sous la «menace» communiste, et la terreur maternelle de l’Enfer. «C’était chacun pour soi dans cet asile de fous qu’était la maison familiale», et personne ne se soucie vraiment de la mélancolie qui habite Camillo – pas même la mère, accaparée par un enfant souffrant de troubles mentaux et une fille sourde –, difficile à l’école, inconsolable à la mort du père, et bientôt, instable dans l’existence, échouant à trouver sa place, à l’inverse de ses frères.

Marco notamment, dont Les Poings dans les poches est récompensé à Locarno, point de départ du parcours que l’on sait. Et qui exprime sa détresse de n’avoir pas su écouter son frère venu lui confier ses angoisses existentielles – «Je lui ai raconté des conneries révolutionnaires», à quoi Camillo répliquera «Marx puo aspettare» – Marx peut attendre. Son suicide plongera la famille dans l’incrédulité – «Personne n’a mesuré les dangers de cette dépression», observe Piergiorgio, l’écrivain. Le réalisateur renchérit: «Tous les autres ont été négligents, mais comme jumeau, tu te dis que tu n’as rien compris.» La disparition de son cadet n’a cessé de le hanter, irriguant son œuvre, de Les Yeux, la Bouche à L’ora di religione. Culpabilité et inspiration confondues. Poignant.

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