Critique | Cinéma

Le film de la semaine : Les Secrets de mon père, ou comment raconter la Shoah

3,5 / 5
Le passage à l’animation de l’album de Michel Kichka prolonge le devoir de mémoire de son père. © National
3,5 / 5

Titre - Les Secrets de mon père

Genre - Animation

Réalisateur-trice - Véra Belmont

Casting - Michèle Bernier, Jacques Gamblin, Arthur Dupont

Durée - 1h14

Les Secrets de mon père transpose en film d’animation la bande dessinée où Michel Kichka raconte sa relation avec son père, survivant de la Shoah.

Avec Les Secrets de mon père, son premier film d’animation, Véra Belmont adapte la bande dessinée de Michel Kichka, Deuxième génération, dédiée à la figure paradoxale de son père, Henri Kichka, victime de la Shoah et héros en devenant le témoin aux yeux du monde de l’horreur des camps, tout en refusant à ses enfants le récit de son propre parcours. Le dessinateur nous parle de son histoire, et de sa transmission à travers cette nouvelle adaptation qui lui ouvre des possibles.

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Qu’est-ce qui a fait naître chez vous l’envie, le besoin d’écrire votre bande dessinée Deuxième génération?

J’ai pris conscience au fil des années de l’importance du non-dit dans mon passé, du poids qu’avait pu avoir la Shoah vécue par mon père, sans qu’il ne nous la raconte jamais. En vieillissant, j’ai commencé à comprendre que les tragédies familiales que nous avions vécues était sûrement liées à ça. La Shoah, c’était un éléphant au milieu de la pièce que personne ne voyait. Vers l’âge de 50 ans, je me suis senti assez mûr pour en faire une bande dessinée. J’ai beaucoup hésité, parce que je savais que je devrais dévoiler des vérités et que ce ne serait pas simple pour mon père. Mais je voulais aussi lui dire que je l’avais compris. Que les colères, les frustrations, les révoltes m’étaient nécessaires, mais que j’avais compris la difficulté pour lui de revenir à la vie après les camps, de vivre avec les fantômes des disparus, tout en essayant de nous donner de la joie de vivre quand c’était possible.

© National

Comment avez-vous réagi quand Véra Belmont a proposé d’adapter pour un jeune public ce récit que vous aviez pensé pour des adultes?

Je n’aurais jamais imaginé qu’il puisse y avoir une “suite” à mon livre. Mais quand j’ai rencontré Véra, et que j’ai vu la façon dont elle s’était entourée, j’ai tout de suite été en confiance. À l’écriture, elle avait rallié l’écrivaine Valérie Zenatti, qui a traduit toute l’œuvre du romancier Aharon Appelfeld. Et puis le film était produit par le studio d’animation qui avait adapté Persepolis. J’ai été très ému à la lecture du scénario, par l’intelligence avec laquelle les choses avaient été transformées. Mon histoire a gagné deux choses fantastiques en étant transposée sur grand écran: d’une part de la couleur, du son, de la musique, et d’autre part un public plus large. La manière dont la Shoah est montrée ou plutôt évoquée, que ce soit via les cauchemars de mon personnage, ou les archives sur le procès Eichmann, fait que le film devient une leçon d’Histoire, un outil pédagogique, ce que mon livre n’est pas. Et puis le fait que le film soit conçu pour être vu à plusieurs, c’est aussi l’opportunité de créer le dialogue, et de partager les émotions.

© National

Justement, le film offre une caisse de résonance amplifiée à votre récit, et permet de poursuivre le dialogue que vous avez ouvert avec votre père à travers l’écriture.

Oui, c’est comme une promesse que la transmission va continuer. C’est important, car on sait que l’humanité a la mémoire courte. Pour les jeunes générations l’Histoire du XXe siècle, c’est la préhistoire, or c’est ma vraie histoire, c’est de l’histoire vivante. Cela permet de visiter l’Histoire en fiction, en faisait appel à d’autres émotions.

Effectivement, le film repose sur de nombreuses émotions, avec notamment beaucoup d’humour, très présent dans les relations entre les deux frères, mais aussi avec le père, qui permet de créer un lien direct avec le jeune public.

Moi, je suis un fervent croyant en l’humour, je suis un orthodoxe de l’humour! C’est un excellent moyen de se faire écouter. Quand on parvient à faire rire son public en parlant de choses graves, le souvenir reste. Le film dédramatise, sans occulter la réalité.

Le film évoque les camps, et ceux qui y ont survécu. Que reçoit-on en héritage quand ses parents ont survécu aux camps?

La question, c’est comment a-t-on pu revivre après la Shoah? Certains en sont sortis détruits, d’autres ont réussi à se reconstruire. Chez mon père, ça a été possible quand il a commencé à témoigner. Plus il témoignait, plus il redevenait l’homme qu’il avait toujours voulu être. Un homme admiré et respecté, après avoir été déshumanisé, avoir été un numéro. Et puis le film raconte aussi une autre transmission, celle de l’amour du dessin. C’est ça aussi, mon héritage spirituel. Finalement j’ai réalisé le rêve de mon père. Les circonstances ne lui ont pas permis de devenir dessinateur, moi oui. On parle de devoir de mémoire, mais quel devoir, en fait? Valérie Zenatti dit que l’expression “devoir de mémoire” est très lourde à porter, et qu’elle n’est pas très claire. Le film, lui, éclaire cette expression. C’est ça, le devoir de mémoire, ce n’est pas nécessairement marteler des choses, ce ne doit pas être une obligation, et ça peut passer par le divertissement et l’art.

Les Secrets de mon père

Seraing, 1959. Michel et Charly, deux frères taquins et attachants font les 400 coups sous l’œil aimant de leur mère, et le regard parfois sévère de leur père. Il faut dire que derrière les saillies humoristiques, une ombre plane sur le front du patriarche. “Papa c’est différent, il a été dans les camps”, leur assène leur mère quand ils osent poser une question. Les Secrets de mon père explore ce non-dit, l’incommunicabilité autour de la Shoah chez les survivants, et les cicatrices laissées dans les familles. Véra Belmont ose s’adresser à un jeune public autour de ce sujet lourd et douloureux, en recourant à une large palette d’émotions, à une reconstitution soignée et au pouvoir de l’identification. À travers le parcours de ces deux petits garçons des années 60, c’est toute une partie de l’Histoire du XXe siècle que le film contribue à préserver, en se plaçant à hauteur d’enfant.

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