Le duelliste

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Entrée remarquée de Renaud Farace chez Casterman, avec l’adaptation d’une nouvelle de Conrad, elle-même inspirée d’un fait divers militaire.

Duel

De Renaud Farace, éditions Casterman, 192 pages.

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La bande dessinée, c’est parfois comme l’escrime (que l’auteur a aussi pratiquée, pendant six ans): il faut de l’ambition pour faire mouche. Ce que Renaud Farace, quasiment inconnu jusqu’ici, fait avec brio dans cet étonnant Duel: 190 pages presque toujours en austère noir et blanc, autour de l’affrontement certes homérique entre deux hussards de la Grande Armée de Napoléon, et qui lui a demandé trois ans de travail, ce n’était ni le sujet ni la manière que l’on était en droit d’attendre d’un jeune auteur bien de son époque! Et pourtant, difficile de rester insensible face à ce duel inspiré d’un véritable fait divers, que le trait et la fine psychologie de Renaud Farace rendent étonnamment moderne, comme ont pu le faire Joseph Conrad ou Ridley Scott en leur temps: le premier a écrit sa nouvelle en 1908, entre La Folie Almayer et Au coeur des ténèbres, le second l’a adapté au cinéma en 1977 dans Les Duellistes, avant Alien et Blade Runner.

Le cancre et le premier de classe

Duel, donc, et non Le Duel, comme Conrad, « pour insister sur la dualité de deux personnalités qui s’opposent, mais qui deviennent aussi complètement dépendantes l’une de l’autre. Une dualité qui explique aussi l’utilisation du noir et blanc« , nous a expliqué l’auteur. Soit d’un côté, le lieutenant d’Hubert, officier au caractère mesuré et qui ambitionne d’intégrer l’état-major de Napoléon. De l’autre le hussard Féraud, fine lame mais brute impulsive, qui n’aime rien mieux que de se battre. Le premier, chargé d’arrêter le second, sera provoqué en duel. Duel qui va marquer le début d’une haine tenace entre les deux hommes qui dé-sormais, et pour les 20 années qui vont suivre, n’arrêteront plus jamais de s’affronter. Deux exacts contraires, qui se rendent compte à leur contact réciproque que chacun cache, au fond de lui-même, un peu du caractère de l’autre… Et que rien ne peut se comparer à l’adrénaline du combat. Des montées d’hormones dont ils ne pourront bientôt plus se passer, quitte à ne jamais gagner leur duel, et dont Farace rend magnifiquement compte du climax en intégrant soudain, à chaque combat, des touches de rouge. Un jeu de bichromie très moderne, comme les contraintes oubapiennes que l’auteur s’est lui-même imposées: « Des contraintes créatives pour surtout ne pas m’embêter: toutes les planches sont ainsi basées sur un même gaufrier, à la base de toutes les compositions. J’ai aussi multiplié les jeux de miroirs dans l’album, mais aussi entre les pages elles-mêmes. Quant au fond, je voulais vraiment rendre compte d’un combat intime avant d’être spectaculaire. C’est un peu comme à l’école, quand le cancre fait face au premier de classe: le bon élève admire toujours secrètement le mauvais, alors que le mauvais envie souvent le bon. »

Olivier Van Vaerenbergh

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