Myriam Leroy
Myriam Leroy Journaliste, chroniqueuse, écrivain

22.50 LA DEUX

DE MARY JIMéNEZ.

« E n tant que citoyen, j’ai tort », concède Marc Sluse, dit Marcus. « En tant qu’homme, je n’ai fait que mon devoir. » Râblé et le crâne rasé comme un Monsieur Propre qui aurait trempé dans de sales affaires, Marcus a dormi à l’ombre durant une vingtaine d’années. Dont douze pour recel de malfaiteurs. Chez lui, c’est une SPA où il accueille tout ce que la société carcérale fait d’animaux blessés. Il héberge des évadés de prison, qui savent que sa porte leur est toujours ouverte. Parfois, ces détenus en cavale le dénoncent, et cette Brigitte Bardot pour mauvais garçons se retrouve elle-même derrière les barreaux. Puis rentre à la maison. C’est comme ça, c’est sa vie, c’est le sens qu’il lui a donnée. « Comment me donner tort? », lance-t-il, candide. Partout où va Marcus, il trimballe un sac en plastique bourré de livres, et un dictionnaire. Comme ça, si « les choses » tournent mal et qu’on le renvoie au trou, il aura toujours de quoi s’occuper. Là-bas, il s’est découvert un passe-temps singulier: la lecture du dictionnaire. Aujourd’hui, Marcus, débarqué de l’école à l’adolescence pour avoir imaginé le meurtre d’un prof dans une composition de français, a le verbe facile, et la confidence naturelle. La réalisatrice d’origine péruvienne Mary Jiménez a recueilli le témoignage de cet incroyable personnage durant de longs mois et l’a replacé dans les lieux qu’il évoquait. L’orphelinat où il a attendu en vain le retour d’une famille chez qui il avait passé Noël, le home dont le « patron » le battait copieusementà Des endroits où il a côtoyé une telle souffrance, qu’il se sent depuis investi de la mission de l’éradiquer partout où il passe.

MONOLOGUES DU BON SAMARITAIN

Il se souvient : « Une nuit on m’appelle. Instinctivement, je regarde l’heure. Il est 4h du matin. C’est un ami qui a besoin d’aide. Il est à 150 km de chez moi, il a eu une altercation avec la police, il y a eu échange de coups de feu, il a brûlé son véhicule pour faire disparaître les preuves et maintenant je dois aller le chercherà » Son récit est si intense qu’il occulte sans peine quelques faiblesses de forme (les définitions de termes – comme « liberté », « solidarité », « bonhomie »à – qui jalonnent le film lui apportent peu, or elles lui donnent son titre). Le dictionnaire selon Marcus (produit par les frères Dardenne) est le genre d’£uvres dont on sort un peu moins cynique, un peu plus tolérant. Et profondément ému par un bon samaritain à la personnalité hors norme et au parcours hors-la-loi qui confesse éviter les bois, les bords de mer et les grands espaces, « parce que je sais que le jour où je me retrouverai en prison, tout ça me manquera encore plus fort. »

Myriam Leroy

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content