Serge Coosemans

Le clubbing de 2020, c’est le Tai-Chi

Serge Coosemans Chroniqueur

Le menu de la semaine de Serge Coosemans: Jim Morrison, Thomas Pynchon, la science-fiction écolo finlandaise, les riverains parisiens, le MR ixellois, Théophane, Mayélis, le Silent Disco et le Tai-Chi. Sortie de route, S04E06.

Selon Mixmag, qui a déniché sur You Tube une interview jusqu’ici peu vue de Jim Morrison, « l’Oracle » aurait prédit en 1969 l’avènement des musiques électroniques. Dans le clip, on y voit en effet Jimbo supposer que dans 4 ou 5 ans, la musique des nouvelles générations pourrait combiner le blues, le folk, des bandes et des machines. Mixmag rappelle que Kraftwerk se forma l’année suivante mais oublie qu’en fait, dans la culture psychédélique à laquelle les Doors n’étaient pas complètement étrangers, l’idée d’incorporer un jour des sons électroniques était en fait assez courante.

Dans Vente à la criée du lot 49, publié pour la première fois en 1966, Thomas Pynchon envisageait même un bar « à avoir comme politique de ne passer strictement que de la musique électronique », balancée au public à partir d’un « plein studio de mécaniques, d’oscillographes, de micros et d’amplis ». Plus tard, en 1972, dans Le Bal des schizos, Philip K. Dick raconte quant à lui l’histoire de types qui construisent des orgues programmables. Bref, à défaut de prédire l’avenir, les artistes les plus ouverts et allumés de ces années-là kiffaient surtout la technologie musicale de pointe, l’avènement de la hi-fi, l’apparition des premiers synthés. Dans leurs sorties sur le sujet, ils n’ont fait qu’exprimer leur emballement de geeks pour des produits nouveaux.

Risto Jarva, un réalisateur finlandais mort à Helsinki à l’âge de 43 ans, en 1977, semble par contre de son côté avoir vraiment vécu des flashs à la Nostradamus (rires). En 1969, il a en effet imaginé dans Ruusujen Aika, un film de science-fiction que pas grand-monde n’a vu (en tous cas pas moi), qu’en 2011, les gens feraient la fête équipés de casques audio sur la tête. D’après Wikipédia, le scénario soulignait même que c’étaient des militants écologistes désireux de combattre la pollution sonore des villes et de ne pas heurter les plantes avec les vibrations d’une musique trop violente. On ne précise pas s’ils habitaient Ixelles et aimaient longuement bruncher le dimanche. Mais pourquoi je parle de ça, moi?

À cause de Télérama et d’une conversation aussi navrante que marrante que j’ai eu vendredi soir avec un organisateur de soirées, qui s’est bien évidemment plaint de toutes les tracasseries que l’on rencontre aujourd’hui à Bruxelles dès que l’on veut faire jouer un groupe ou un deejay dans un bar. Sous le titre « Il est deux heures, Paris s’endort », le magazine décrit une situation parisienne assez similaire, où pleurnichent les collectifs de riverains, où les pouvoirs publics manquent d’une approche équilibrée, où les réglementations sont tatillonnes et où les fermetures administratives sont un poil trop rapides, voire même carrément arbitraires. Certes, ce sujet-là est ce que l’on appelle dans le jargon journalistique un marronnier. Dans les commentaires sous l’article, un troll résume assez bien cette idée, avançant que l’« on dirait le copier-coller d’un article sur le même sujet déjà paru dans Libé en 2003, 2005, 2008, 2011, avant-hier et rédigé par un bobo barbu à lunettes papa de deux enfants (Théophane et Mayélis) arborant un t-shirt « Clubbing is not dead » (mettons) ».

Sauf que contrairement à 2003, 2005, 2008, 2011 et avant-hier, où ce genre de carabistouilles ne concernait souvent que Paris et des villes de province française aux édiles crispés, la guerre du sommeil des uns contre le fun noctambule des autres est aujourd’hui une affaire quasiment étendue à tout l’Occident. C’est que l’on récolte désormais des histoires de ce genre de Londres à Sidney, du Japon à Marseille, des Etats-Unis à Ixelles. La nuit, le clubbing, le tissu sociologique même, évoluent assez bizarrement depuis quelques années. Les baby-boomers et la génération X, pourtant jadis réputés libéraux et permissifs, vieillissent très mal, virent même complètement réacs. C’est exactement pourquoi je me dis que cette idée de soirées avec un casque sur la tête pourrait finir par s’imposer. On est désormais prêts pour ce genre de couillonnade.

Silent Disco

Ça existe à vrai dire déjà, peut-être pas à Bruxelles, du moins pas à ma connaissance. On appelle ça les Silent Disco ou Silent Party ou Quiet Party, bref, une soirée dansante où chaque participant est équipé d’un casque sans fil sur les oreilles. On peut non seulement en régler le volume à sa meilleure convenance mais aussi choisir son canal, parce que dans une Silent Disco, il y a généralement deux deejays qui jouent simultanément, à priori chacun une musique au tempo différent. La paternité du concept reste à ce jour disputée mais ce type d’évènement connaît un certain succès depuis une quinzaine d’années, notamment parce qu’il permettrait dans des régions où les règlementations sur le tapage nocturne sont drastiques de continuer la fête bien au-delà de l’heure permise par les autorités. C’est du moins comme ça que les promoteurs des Silent Parties essayent de vendre le concept, de jouer sur une image aussi canaille que fausse, surtout agitée pour arrêter les moqueries des partisans de l’idée qu’une soirée dansante est idéalement une expérience de communion, mentale mais aussi physique, bruyante parce que surtout cathartique.

Faussement espiègle et pétillante, la communication de ces Silent Disco cache en fait très mal un esprit franchement bourgeois et vieux con, où, en gros, les deejays « normaux » sont critiqués pour jouer trop fort une musique anxiogène qui vous rendra sourd avant la cinquantaine. Au mieux, ce sont des initiatives flirtant avec l’art contemporain et les flash-mobs mais au pire, c’est vraiment un délire neuneu où des familles qui brûlaient des sorcières dans leurs vies antérieures se réunissent sur une plage ou dans un parc pour y danser sans gêner les plantes. Comme prévu par Ruusujen Aika, le film de science-fiction finlandais, donc. Comme peut-être aussi un jour très prochain encouragé par les pouvoirs publics, parisiens comme bruxellois, histoire de permettre aux uns de faire la fête sans ne plus gêner ces petits véritables Adolfs de sacro-saints riverains.

Encore que, lorsqu’on passe un peu de temps à regarder les vidéos de soirées Silent Disco, on se rend vite compte que même sans musique, un fêtard, ça beugle. Il y aura toujours une dinde pour hurler comme une chatte à qui on marche sur la queue aux premières mesures d’un tube de Rihanna et un vieux puceau pour parler très fort de son expérience Erasmus, sans oublier le bruit continu des pieds raclant le parquet. Est-ce que le riverain l’acceptera, ça? Sans quoi, il ne nous restera que le Tai-Chi, au ralenti et la musique dans la tête.

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