Philippe Elhem
Philippe Elhem Journaliste jazz

CINQ ALBUMS DU SAXOPHONISTE JIMMY LYONS SONT RÉÉDITÉS ET COFFRÉS POUR UNE REDÉCOUVERTE MAJEURE D’UN MUSICIEN TROP OUBLIÉ…

Jimmy Lyons

« The Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note »

5 CD SET BXS 1028 CAM JAZZ (HARMONIA MUNDI)

9

La carrière de Jimmy Lyons reste étroitement liée à celle de Cecil Taylor. Les deux hommes, en effet, collaborèrent sans interruption de 1961 à 1985, le décès de Lyons pour cause de maladie survenant l’année suivante alors qu’il était âgé de 53 ou 55 ans (l’âge diffère selon les sources). Peu étoffée jusque-là (puisqu’en-dehors des cinq albums sous rubrique elle ne comprenait que Other Afternoons, enregistré pour Byg en 1969, Push Pull, Riffs et Jump Suit, publiés en 1979 et 1980 par le label suisse Hat Hut), sa discographie personnelle s’est soudainement vue augmentée en 2003 de cinq autres CD grâce à la publication par Ayler Records d’un coffret comprenant concerts inédits et enregistrements privés. Si l’on peut regretter que le saxophoniste n’ait pas laissé un héritage plus important pour des raisons qui tiennent beaucoup à sa personnalité, intègre et perfectionniste, les disques aujourd’hui disponibles (cela inclut ceux de Taylor) sont suffisamment nombreux et variés pour nous permettre de prendre la véritable mesure d’un altiste dont l’importance se montre égale à celle d’Ornette Coleman ou d’Eric Dolphy dans la naissance et la maturation de la New Thing. Comme eux, il est au départ un héritier de Charlie Parker dont il possède la sonorité, particularité qui lui vaudra longtemps la réputation d’avoir été l’élément conservateur qui rattachait encore au jazz moderne Taylor et sa révolution copernicienne. Il suffit pourtant d’écouter ces cinq CD pour être totalement convaincu du contraire. Certes, Lyons est toujours plus proche de la tonalité que Taylor, mais la vitesse avec laquelle il délivre ses phrases, la liberté qu’il laisse aux solistes et à la rythmique qui l’accompagnent dans les deux quintettes comme l’improvisation totale qui prévaut dans les duos et le trio en font l’un des chantres essentiels de la free music telle qu’elle existe majoritairement aujourd’hui encore.

Libre et altier

Même si deux des cinq CD de ce coffret (son chef-d’oeuvre Nuba et le formidable Something In Return) figuraient déjà dans celui d’Andrew Cyrille sorti en 2013, l’intégralité des titres gravés par Lyons pour Black Saint vaut largement le détour. Les trois disques qui le complètent nous permettent de le retrouver en duo avec Andrew Cyrille à nouveau -un de ses partenaires de prédilection depuis l’Unit de Taylor des années 60- pour Burnt Offering (curieusement « oublié » dans le coffret du batteur) et, par deux fois, en quintette dans des enregistrements de studio. Si l’on retrouve dans les deux formations le batteur Paul Murphy et la compagne de Lyons, Karin Borca (dont le basson joué en soliste confère une couleur très particulière à la musique), Wee Sneezawe n’en domine pas moins le pourtant excellent Give It Up. La présence dans le premier de William Parker à la contrebasse (remplacé par Jay Oliver dans le second) et, surtout, du trompettiste Raphe Malik (bien que son successeur soit Enrico Rava), ami mais aussi partenaire de Lyons chez Taylor, confère à ce jazz libre et altier une force idiomatique qui en fait l’un des albums essentiels du genre, toutes époques confondues.

PHILIPPE ELHEM

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