Le bâti ment

© © Enrico Gaido
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

À Molenbeek, un bureau d’architectes s’abandonne entre les mains d’un plasticien. Le temps d’une exposition hallucinante, sous tension.

TNXCA

Enrico Gaido, L’Escaut Architectures, 60 rue de l’Escaut, à 1080 Bruxelles. Jusqu’au 30/06 (uniquement le week-end).

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Dans un monde où règnent le selfie et le like, il ne faut pas manquer une occasion de se confronter à l’audace. Raison pour laquelle on conseille de se rendre de toute urgence dans les locaux de L’Escaut Architectures. Ce cabinet emmené par Olivier Bastin s’est fait remarquer par plusieurs édifices à Bruxelles et ailleurs: skate-park du square des Ursulines, extension de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth, Musée de la Photographie à Charleroi, Artothèque de Mons, ou encore Conservatoire de Nantes. De manière assez fascinante, le bureau en question ne limite pas son champ d’investigation aux différents appels d’offre. Depuis sa fondation, ce groupement atypique a mis un point d’honneur à cultiver la transdisciplinarité. Pour preuve, des plasticiens tels que Francis Alÿs et Edith Dekyndt sont venus y faire d’intéressantes propositions. On ne peut que louer ces initiatives à l’heure où les architectes nous ont habitués à des « gestes » qui consistent souvent à bander les muscles et à se masser l’ego. En convoquant le plasticien Enrico Gaido (Turin, 1971), Olivier Bastin était-il conscient du beau danger qu’il courait? Peut-être pas si l’on en croit ses dires: « TNXCA a profondément modifié mes vues sur le porte-à-faux« . Il est vrai qu’à l’aide de câbles, de poulies, d’un étonnant dispositif et d’une pierre bleue de 130 kilos, Gaido ébranle toutes les certitudes possibles liées au bâti. Il s’empare du lieu tout entier, le retourne comme une crêpe et invite à ne plus souscrire au leurre du fixe, du stable et du pérenne.

Mise sous tension

Le bâtiment du 60 rue de l’Escaut est soumis à un suspense intenable. Celui-ci culmine au troisième étage, sous la charpente du toit. Une étrange chorégraphie de cordes suspend une pierre bleue à 50 centimètre au-dessus du sol. Une ventouse industrielle, d’où l’air a été expurgé, joue les intermédiaires. À intervalle régulier, environ toutes les 30 heures, l’imposante pierre se détache de ladite ventouse pour venir s’écraser sur un socle de matière isolante. Le choc a beau être amorti, il résonne à travers toute la structure du bâti. Lors de notre visite, l’horloge digitale marquait une séquence de 31 heures, signe que la rupture pouvait se produire à chaque instant, à chaque pas. Comment être sûr de ne pas être celui par qui la catastrophe arrive? La chute a beau ne pas s’être produite, sa possibilité a pesé de tout son poids sur l’atmosphère du lieu: une tension permanente. Il restait à examiner l’étrange configuration de cette leçon d’architecture appliquée. Celle-ci se déroule tout au long d’un fil qui traverse physiquement les étages. Il faut le suivre jusqu’à la cave où il est amarré à un crochet hydrostatique dont le sens est livré par le biais d’une vidéo explicative. Comme pour un bateau qui ferait naufrage et libèrerait ses canots de sauvetage, le câble serait libéré en cas de pression considérable, par exemple en cas d’inondation. Jamais on n’aurait pensé qu’il était possible de faire trembler à ce point un colosse de pierre sur ses fondations. Sans oublier qu’en faisant passer son fil à travers les étages, Enrico Gaido a mis à jour un véritable cauchemar d’architectes: le 60 rue de l’Escaut n’est pas droit. Il bouge, peut-être même vit-il. Comme nous.

Michel Verlinden

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