L’art avant et après (6/6): Le rhinocéros dans l’arène

© JOHAN MUYLE / COOKIE BUTCHER
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Un tableau qui se réinvente sculpture se découvre souvent spectaculaire, la transposition en 3D d’une œuvre en deux dimensions ne manquant pas de marquer durablement la rétine, immersion à la clé. Ainsi de L’Impossibilité de régner (1991), une réplique en époxy, grandeur nature, d’un rhinocéros empaillé conservé au Muséum des sciences naturelles, à Bruxelles. On doit cet étrange animal monté sur roues au sculpteur d’assemblage Johan Muyle (Montignies-sur-Sambre, 1956).

Présenté dans une arène, la bête en mouvement, comme folle, se heurte machinalement aux murs qui la cernent. Ses déplacements erratiques et sa corne usée sont à comprendre, à l’aune de l’abdication temporaire du roi Baudouin au moment du vote de la loi sur l’avortement, comme l’allégorie d’un pouvoir buté. On notera le goût du réalisme de l’artiste: en captivité, les rhinocéros asiatiques se frottent la corne (composée de poils et de peau et pas d’ivoire) sur les parois de leur enclos. «J’ai voulu conserver cette particularité, la perte du signe de sa puissance, comme métaphore des limites et contradictions du pouvoir», détaille l’artiste.

© DEA / A. DAGLI ORTI

Au-delà de cette référence politico-monarchique, la pièce convoque également l’histoire de la peinture. «Je fais souvent référence au cinéma d’auteur qui prône: un sujet apparent, des sujets réels», confie Muyle. La citation se veut ici double. D’abord une célèbre gravure sur bois de 1515 d’Albrecht Dürer. Ensuite, un tableau dans une veine similaire, celle de «l’affreuse merveille», réalisé par Pietro Longhi en 1751. Tout se passe comme si Muyle opérait la rencontre entre les images issues de la peinture et des mécanismes apparents comme on peut les trouver chez Panamarenko. «Cela tient au fait que je pense sculpture en regardant la peinture et, plus largement, quand je regarde le monde. Mais c’est une sculpture débarrassée de l’illusionnisme, l’idée est d’émanciper le visiteur en lui montrant les coulisses de la pièce, je refuse de le prendre en otage», insiste celui qui a montré cette pièce pour la première au Palais des beaux-arts de Bruxelles.

Albrecht Dürer, Le Rhinoceros, 1515. © ROSENWALD COLLECTION / NATIONAL GALLERY OF ART, WASHINGTON DC

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content