Critique | Musique

[L’album de la semaine] Grimes – Art Angels

Grimes © Mario Sorrenti/ArtPartner
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

AVANT-POP | Bienvenue dans le monde étrange de Grimes. Son nouveau Art Angels mélange délire J-pop et chants médiévaux, miel r’n’b et relents synthétiques. Bluffant.

En tant que genre, la pop music a ceci de particulier qu’elle n’en est pas vraiment un. Elle se laissera en effet difficilement résumer à quelques traits distinctifs. La pop, c’est aussi bien les Beatles qu’Abba, autant The Cure que Katy Perry, à la fois Prince et Queen, etc. En d’autres mots, si la pop est un terrain de jeu, ses limites bougent tout le temps. Cela étant dit, ce n’est pas parce que le genre se passe de règles claires que certains ne peuvent pas s’amuser à les… détourner. Ces dernières années, se sont ainsi multipliés les exemples de ceux qui posent un « geste » pop, tout en s’amusant à en déplacer le curseur -au besoin en passant par l’ironie ou le clin d’oeil postmoderne. L’un des cas les plus marquants est celui qui concerne la Canadienne Grimes, alias Claire Elise Boucher (Vancouver, 1988). En 2012, après deux premiers albums (parus sur le label canadien Arbutus), elle sortait Visions. Distribué par 4AD, le disque s’inscrivait à la fois parfaitement dans le catalogue de la prestigieuse enseigne anglaise (l’héritage new wave), tout en amenant une bizarrerie propre. Réalisé en autarcie, entièrement à l’aide du logiciel Garageband, l’album frappa les esprits. La personnalité, exubérante, de son auteure également. Se retrouvant dans plusieurs classements de fin d’année, Visions valut ainsi à la Canadienne le genre de micro-célébrité arty fashion (elle se retrouvera sous l’objectif de Karl Lagerfeld ou Hedi Slimane) qui se révèle (parfois) aussi pesante que celle que peuvent subir les abonnés à la homepage de TMZ…

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L’atterrissage fut donc plus compliqué que prévu pour Grimes. Désormais représentée par le même management que… Rihanna ou Jay Z (Roc Nation), la Canadienne explique avoir jeté un album entier, jugé « trop dépressif ». Par réaction sans doute, le nouveau Art Angels est d’autant plus expansif, espiègle, voire dingo.

Certes, il démarre là où Visions s’était arrêté: l’intro de laughing and not being normal charrie les mêmes effets « gothiques ». Dès California, la Canadienne plonge cependant dans la pop la plus saccharinée. Totalement décomplexée, la musique de Grimes maximalise ses effets, enchaînant les mélodies-hameçon. Mais en ne sacrifiant jamais son étrangeté. C’est la grande réussite d’Art Angels, disque trop siphonné pour être tout à fait joli, trop décalé pour être vraiment laid. Appelez ça le beau bizarre, comme dirait Christophe. Car même en calibrant ses morceaux, Grimes ne parvient pas à sonner autrement que comme elle-même. Sa voix de souris, sorte de Cyndi Lauper fantomatique (ou de Sailor Moon cold wave), continue par exemple de se noyer régulièrement dans le mix. Sur SCREAM, film d’horreur sous guitares twang, Grimes invite la rappeuse taïwanaise Aristophanes; tandis que le tube J-pop Kill V Maim est présenté comme ayant été inspiré par le personnage d’Al Pacino dans le Parrain 2, mais « qui serait devenu un vampire, capable de changer de sexe et de voyager dans l’espace » (sic)… Si la pop s’est souvent ressourcée en se branchant sur l’underground arty, Art Angels est ainsi une nouvelle preuve que les échanges sont en train de s’équilibrer. Pour le meilleur.

DISTRIBUÉ PAR 4AD.

EN CONCERT LE 03/03, À L’ANCIENNE BELGIQUE, BRUXELLES.

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