Critique | Musique

L’album de la semaine: D’Angelo – Black Messiah

D'Angelo © Greg Harris
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

SOUL | Quatorze ans (!) après son dernier album, D’Angelo réussit son retour avec un disque soul capiteux et capital, à la fois branché sur l’actualité et l’intemporel.

Tout est toujours une question de timing. Alors qu’il n’était pas attendu avant plusieurs semaines, Black Messiah, le nouvel album de D’Angelo, a finalement déboulé juste avant Noël. Ce fut une vraie surprise. Régulièrement annoncé, à chaque fois reporté, le disque avait pris au fil du temps des allures de chimère, une oeuvre fantasmée, piégée par sa propre ambition. Bref, un album dont on ne pensait jamais pouvoir entendre la moindre note. Le voici pourtant, débarquant quatorze ans après son prédécesseur. Ce qui a poussé D’Angelo à précipiter la sortie? Les événements de Ferguson (Missouri) -autour de la mort de Michael Brown, ado noir de 18 ans, abattu par un policier blanc et des manifestations qui ont suivi- et l’écho que pouvait y trouver son disque…

Il y a évidemment quelque chose d’étonnant à lâcher finalement dans l’urgence un album fignolé pendant plus de dix ans. On peut y voir la trace de réunions marketing au sommet, voire pas mal d’opportunisme. Mais pas seulement…

Sex Symbol

Avec Brown Sugar (1995) et Voodoo (2000), D’Angelo s’était imposé comme l’un des maîtres d’oeuvre de la néo soul, ce mouvement de réhabilitation du feeling soul, né en réaction aux paillettes et autres roucoulades vides de sens du r&b de l’époque. Quinze ans plus tard, tout se passe comme si le manifeste avait gardé toute sa pertinence. Aux entertainers/entrepreneurs, répondent Black Messiah et sa photo de presse illustrant le slogan des manifestants de Ferguson, « Hands up, don’t shoot! »

Un poil pompeux? « Un putain de titre pour un album », reconnaît même D’Angelo dans les notes de pochette. Le genre à « être facilement mal compris ». Pour être clair, il ne s’agit donc pas ici de religion, ni d’accès de mégalomanie de la star, mais bien « de chacun de nous », « d’une idée à laquelle nous pouvons tous aspirer ». Plus loin, D’Angelo fait encore référence à ceux qui se sont mobilisés en « Egypte ou au sein d’Occupy Wall Street ». Black Messiah, disque engagé donc? Définitivement, et à cet égard, c’est tout le talent de D’Angelo d’avoir attendu le moment opportun pour donner la meilleure résonance à ces préoccupations. Cela étant dit, Black Messiah n’est pas que cela. C’est surtout un disque bouillonnant et moite, dont le faux rythme devient rapidement addictif. Un drôle de roulement, qui sous ses allures monotones cache des nuances et un raffinement inouïs (le formidable Prayer), mêlant motifs funk et jazz (Betray My Heart), rappelant aussi bien Funkadelic et Sly Stone que Prince. Enregistré et mixé entièrement en analogique, Black Messiah est un sommet de sensualité (Really Love) et de groove licencieux. « Je me suis demandé si j’allais jamais pouvoir y arriver », chante D’Angelo, sur Back To The Future, « donc si tu t’interroges sur mon état de forme, j’espère que tu ne fais pas référence à la tenue de mes abdos », se moquant de son statut de sex-symbol (entériné, pour rappel, avec l’effeuillage pratiqué dans le clip de Untitled). Comme avec tous les meilleurs albums de soul, de Sam Cooke à Marvin Gaye, D’Angelo convoque ainsi à la fois le politique et l’intime, le charnel et le spirituel. Est-ce pour cela qu’il sonne instantanément comme un classique?

  • D’ANGELO, BLACK MESSIAH, DISTRIBUÉ PAR SONY.
  • EN CONCERT LE 7/03, À FOREST NATIONAL, BRUXELLES.

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