L’Afrique sauce numérique

José da Silva et Cesaria Evora

Il a découvert Cesaria Evora et fondé le label Lusafrica. Aujourd’hui à la tête du bureau ivoirien de la major Sony, José da Silva en est convaincu: « La prochaine star planétaire sera africaine. »

Il reçoit chez lui: une grande villa avec piscine dans le quartier des ambassades d’Abidjan. Il ne faut toutefois pas se fier aux apparences. José da Silva n’occupe qu’une partie du bâtiment, où sont également installés les bureaux de Sony music, et de futurs appartements pour les artistes de passage, ainsi qu’un studio d’enregistrement. Cela faisait un moment que José da Silva pensait à sauter le pas. Cinq ans précisément qu’il a commencé à approcher la major pour lui proposer d’investir en Afrique de l’Ouest…

L’homme n’est pas un inconnu. Né en 1959, au Cap-Vert, il grandit en France. Alors qu’il bosse comme aiguilleur à la SNCF, il monte un groupe, enregistre un premier disque, … « Mais bon, je me suis vite rendu compte que mes compétences musicales étaient limitées. » Un jour, dans un bar à Lisbonne, il tombe sur une chanteuse qui le laisse pantois: Cesaria Evora. « Elle galérait, elle n’avait personne pour s’occuper d’elle. » José da Silva va s’improviser manager. En 92, il réussit à lui trouver une place sur l’affiche du festival des musiques métisses, à Angoulême. « À partir de là, tout s’est emballé. » Cesaria Evora deviendra une star de la world music. Dans la foulée, José da Silva lancera le label Lusafrica, qui produira des musiciens aussi captivants que Bonga.

Économie du clic

Aujourd’hui, malgré le décès de sa principale star en 2011, et la chute générale des ventes, Lusafrica tient bon. José da Silva en a confié la gestion à sa fille pour se consacrer à son nouveau défi africain. « Pourquoi à Abidjan? Parce que la ville redevient un hub culturel important, pour l’Afrique de l’Ouest et au-delà. Après, ce qui intéresse Sony comme toutes les majors, c’est le fait que l’Afrique est l’un des continents les plus connectés au monde, avec 700 millions de smartphones pour un peu plus d’un milliard de personnes. Il se passe des choses ici dont personne n’a idée en Europe. Tout le monde est sur Facebook, YouTube, etc. C’est une vraie drogue! Aujourd’hui, il y a par exemple le phénomène des parents qui ne savent ni lire ni écrire, mais qui demandent à leurs enfants de leur ouvrir un compte Facebook. À chaque fois, ils doivent leur dicter leur statut (rires). »

Plus encore qu’ailleurs, l’industrie musicale compte ici sur l’émergence d’un nouveau modèle numérique. Où il sera question de branding intensif –« toutes les marques qui cherchent à s’installer en Afrique ont besoin des artistes pour faire leur promotion ». Et d’économie du clic, qui, s’il ne génère pas énormément de flux financiers, construit une notoriété. « Quand votre vidéo récolte plusieurs millions de likes, on vous voit autrement. » D’où l’intérêt des artistes européens et autres à travailler également le continent africain. « C’est ici que les clics se font. Aujourd’hui, par exemple, un rappeur issu de la 2e ou 3e génération qui n’a pas de succès en Afrique n’ira pas loin… » Et pour cela, il faudra être capable de s’adapter aux usages locaux. Internet a beau être global, chaque territoire a appris à le décliner à sa manière. « On a beaucoup à apprendre de tous ces jeunes groupes africains qui réussissent à se construire un public tout seul. Souvent, ils passent leurs nuits à écumer les maquis, quartier par quartier, pour faire écouter leur musique. L’autre jour, on me racontait qu’à Douala, aux heures de pointe, des types s’installent aux carrefours avec des grosses sonos. Pendant que les automobilistes sont coincés dans les embouteillages, ils en profitent pour tester des nouveaux titres! »

L.H.

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