PIAS OCCUPE DEPUIS PRÈS D’UN AN UN BÂTIMENT QUI A FAIT L’HISTOIRE OUVRIÈRE DE BRUXELLES: IL Y OUVRE AUJOURD’HUI RESTO, MAGASIN DE DISQUES ET ESPACE PHOTO. EN PLEINES PIAS NITES 2016, APPROCHE D’UNE SOCIÉTÉ QUI TENTE DE RÉNOVER VOIES ET CODES MUSICAUX.

Pias a quitté ses 6 000 mètres carrés d’Anderlecht pour installer ses bureaux depuis le 1er mai 2015 dans une rue du centre de Bruxelles plutôt marginale. Si ce n’était justement le lieu choisi, un étonnant bâtiment modernistedes années 30 qui a tout du paquebot sauf qu’il reste à quai sur un flot de musique. Ses transparences et courbes expriment la façon dont on voyait l’avenir il y a près d’un siècle: les architectes de l’époque avaient donc choisi lumière et rondeurs comme futur anticipatif (voir en page 31). « Quand je descends le grand escalier qui arrive au bout de la rue, pour peu que la lumière soit belle, je me dis que je travaille dans un lieu exceptionnel. Et mon travail consiste aussi à défendre le beau ». Ce premier jour de mars affiche plutôt un gros crachin belge, mais les anciens locaux et imprimeries du Peuple -quotidien socialiste aujourd’hui disparu- conservent ce caractère chic qui frise l’intemporel. Sur la gauche de la façade, une stèle de pierre proclame « Que le peuple lise » et quelques machines au sous-sol rappellent l’imprimerie d’autrefois. Damien Waselle, 46 ans, est directeur général de Pias Belgique: remontent vite en surface ses études en histoire de l’art autant qu’une naturelle excitation en béton. Matière première de cette belle caverne fluviale jouant de carrelages noirs et orange pour distiller son modernisme. Un piano à queue dans une salle du rez (« un partenariat »), un volume à haut plafond destiné aux concerts au sous-sol, jouxtant un espace qui propose des photos: le noir et blanc flashé d’Olivier Donnet jusqu’en avril. Et puis aussi un minimagasin de disques dominé par le vinyle et le resto Humphrey, accessibles au public général.

Coup de foudre

Pias a quitté Anderlecht parce que le vaste ensemble de locaux que le label belge y occupait ne correspondait plus à son fonctionnement: « L’endroit était pensé autour de la distribution physique des disques, d’où cet entrepôt de 3 000 mètres carrés qui a employé jusqu’à 26 personnes: si la Fnac de Marseille voulait du Miossec, cela passait par Anderlecht. » Lorsque Pias décide d’externaliser sa distribution matérielle aux Pays-Bas, il y a trois ans, le lieu devient inutilement grand. Les recherches immobilières d’un QG patrouillent tout Bruxelles avec l’idée de débusquer un « endroit qui serait vraiment cool, où l’on pourrait installer un bar, une salle, un mag de disques. C’est-à-dire un lieu culturel qui comble aussi notre déficit d’image et cette question: qu’est-ce qu’un label en 2016? Même si avec les Pias Nites qui exposent notre marque [sic], on a gagné en visibilité ». Les Nuits en question sont une carte habilement jouée puisque le modèle tant proclamé des maisons de disques travaillant à 360° s’est creusé: au lieu de prendre uniquement un pourcentage sur les revenus live de ses artistes, Pias s’est mis à les booker lui-même dans ses propres événements. Qui divergent en taille et fréquence selon les pays. Les Français ont bourlingué une trentaine de Nites en quatre ans, désormais en partenariat avec la Fnac plus Arte, et Bruxelles organise ces jours-ci, sa sixième édition. Notamment avec un set ce 19 mars au Palais 12, de Flume, jeune Australien qui a fait vite vendre les 4 000 tickets disponibles. Le cruising bruxellois en quête d’un nouveau QG-Graal a donc conduit Damien, les boss Kenny Gates et Michel Lambot, en toutes sortes de locations: dans des bureaux classiques, un entrepôt de Tour & Taxis et même à l’ancienne brasserie Bellevue au bord du canal de Bruxelles. La visite des anciens locaux du Peuple s’est faite en coup de foudre, même s’il a fallu un peu d’imagination pour y caser la soixantaine d’employés de Pias Belgique, du secteur film Twin Pics, des éditions Strictly Confidential et des départements financier, juridique et du contrôle de stock, qui chapeautent les activités internationales du groupe. Open space à tous les étages, avec lumières naturelles généreuses. Jean-Marc Dehoul -engagé chez Pias depuis 1985- a aussi participé aux visites et définit ainsi la quête par la trouvaille finale: « On voulait un lieu vivant qui signifie que la société Pias ne s’endort pas, même si je trouve que l’esprit du groupe n’a pas vraiment changé depuis les années 80. La salle servira de showcase à nos artistes mais pourra aussi se louer, peut-être pas à Universal, cela dit (sourire). » Pias est locataire du lieu, pour un bail de cinq ans. Le loyer n’est pas communiqué…

On connaît l’histoire: vers 1982, Kenny Gates, belgo-anglais, rencontre Michel Lambot, propriétaire de magasin de disques, et ils commencent par importer des disques anglais. S’installent dans le garage des parents de Kenny, déménagent dans un sous-sol ixellois avant de choisir un plus large QG, pas loin de la gare du Midi. Anderlecht en sera ensuite la base d’activités pendant dix-neuf ans. La saga s’est assez vite développée à l’international, quittant le strict terrain de l’indie, et a d’ailleurs failli se casser la gueule lors d’un partenariat avec l’allemand Edel. Mais la double fonction majeure, production et distribution, semble payante au final grâce à un catalogue extrêmement élastique, d’Agnes Obel aux Editors: 300 employés à l’international et 99 millions d’euros de CA en 2015. Deuxième ou troisième indépendant européen, selon les modes de classement, en tout cas derrière l’anglais Beggar’s Banquet. Pas vraiment un label show off, Pias: ce 1er mars, les gars de Great Mountain Fire causent à Damien dans « la salle de piano » à 15 mètres de Nicolas Michaux qui s’entretient avec un journaliste de Focus. Contraste entre le côté bonne franquette et la sophistication du décor. Qui loge à Bruxelles un modèle industriel tissé autour de quatre « sources de répertoire », comme le rappelle Damien: le label international Play It Again, Sam, l’ensemble de onze compagnies Co-Op racheté par Pias en 2013, une division liée au deal de distribution et Pias Recordings Belgique.

L’Oscar de Wolf

De ce maillage qui peut sembler tarabiscoté, naît un réseau définissant une logique économique particulière, un work in progress à fort potentiel. Un cas pratique? Oscar & The Wolf. Damien: « On a adoré les maquettes, donc on a signé l’album en 2013. On a développé le projet sans être intrusif: on accompagne le profil, l’agenda, on choisit le single avec l’artiste mais celui-ci garde le final cut. La philosophie, c’est: pour jouer la Champions League, il faut d’abord jouer le championnat local. A l’été 2014, on alerte nos collègues des autres Pias qu’Oscar & The Wolf grandit et mérite l’international. De priorité locale, Oscar devient priorité internationale et passe chez Pias à Londres avec ce que cela suppose de moyens. Il ne faut pas oublier que la maison de disques reste une banque qui avance l’argent: donc Oscar est sorti dans l’Europe entière et là, il vient de remplir deux salles de 2000 places en Turquie. » Tiens, dans quelle mesure le label bruxellois peut-il « obliger » ses succursales à signer un coup de coeur belge? Damien est radical: « Personne ne peut obliger un territoire à signer s’il n’est pas convaincu, ce serait de toute manière contre-productif. » Rajoutant que la vision de la compagnie est forcément globale, ainsi « Agnes Obel, Danoise habitant à Berlin, signée par Pias Allemagne, a eu son premier disque d’or en France, voilà une vraie histoire européenne ».

RENCONTRE Philippe Cornet

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