LE RÉALISATEUR CHILIEN SEBASTIAN LELIO TRACE AVEC AUDACE ET SENSIBILITÉ UN MÉMORABLE PORTRAIT DE FEMME PASSIONNÉE DANS GLORIA.

Il était très ému, au moment de la proclamation du palmarès de la Berlinale 2013, où Paulina Garcia remporta le Prix d’Interprétation féminine. Sebastian Lelio avait porté son actrice vers la consécration en lui offrant un des rôles les plus singuliers du cinéma récent. Le réalisateur chilien de 39 ans nous était déjà connu pour un portrait de famille dysfonctionnelle à l’humour noir acéré (La Sagrada Familia), marqué du sceau d’une franchise -en matière sexuelle notamment- qui se retrouve dans Gloria. « Le premier pari du film est de proposer au spectateur de dédier sa pleine attention à un personnage qui, dans un autre film, eut été un personnage secondaire. » Lelio parle bien de cette femme mûre jamais résignée à vieillir, « mais qui elle-même ne se met jamais au centre des choses, comme si c’étaient toujours les autres qui comptaient, comme si elle n’était que témoin dans sa propre existence« .

Gloria fait de ce personnage secondaire « un protagoniste, radicalement, absolument, totalement« , poursuit le cinéaste natif de Santiago dont la vie nocturne se voit explorée par son héroïne avant qu’une passion tardive la saisisse de manière aussi forte que tragique. « Si nous nous sentons si proches de Gloria, constate-t-il, c’est sans doute parce que nous-mêmes nous avons la plupart du temps l’impression que la vie se déroule sans presque jamais que nous soyons au centre, comme si elle pouvait se passer de nous. On a envie de prendre la main de cette femme et de lui dire: « T’en fais pas, c’est pareil pour moi… » »

Le film et son interprète expriment de manière poignante « ce sentiment de voir les années défiler, son existence passer sans qu’on parvienne à la saisir, à avoir prise sur elle tant elle nous échappe constamment« . Lelio utilise les lunettes de Gloria (une paire rouge, une paire bleue) dans ce sens, l’instrument destiné à voir plus précisément les choses amenant « des distorsions, des reflets, des couleurs« . « Intuitivement, cet objet optique me semblait potentiellement chargé de sens, et puis j’aime beaucoup filmer un visage avec des lunettes!« , rit le réalisateur qui manifeste par ailleurs un remarquable sens de l’ellipse narrative, « une autre manière de montrer comment Gloria ne perçoit pas sa vie comme une continuité le moins du monde contrôlable« .

La loi du désir

« Je crois que dès qu’on change sa manière de regarder les choses, les choses que vous regardez changent elles-mêmes… C’est pour cela que quand vers la fin du film, Gloria décide de se passer de lunettes, nous ne sommes pas devant une coïncidence. » Sebastian Lelio aborde aussi, dans son film, des thèmes comme l’amour parental si fort qu’il ne reste rien une fois les enfants devenus grands et partis vivre leur vie, et aussi celui de la seconde chance. « Sociologiquement, l’humanité fait une expérience nouvelle: celle de la prolongation de la vie, grâce à la médecine et au développement de nouvelles technologies, commente le cinéaste. Aujourd’hui, s’approcher de l’âge de 60 ans n’est plus s’approcher de la fin comme ce l’était encore il n’y a pas si longtemps, 20 ans à peine. Un nouveau chapitre s’ouvre désormais, pour lequel nous n’avons pas encore de mot. On ressent qu’il est possible de prendre un nouveau départ, d’aimer, de danser, d’avoir du plaisir. Bref, d’être vivant! Que fait Gloria en définitive, sinon crier haut et fort son droit de vivre pleinement? »

Si Lelio, artiste encore jeune, s’est ainsi passionné pour une héroïne en âge d’être sa mère, c’est parce qu’il est mû « par la fascination, par l’excitation, sans chercher vraiment à savoir ce qui fait qu’un sujet s’impose et veut être exploré« . Explorer Gloria fut pour lui « une expérience très intense, comme si cette femme s’était glissée sous ma peau« … En Paulina Garcia, le réalisateur a trouvé « une actrice et une femme méritant absolument d’être au centre des regards« . Son désir fervent de travailler avec elle, de la filmer, ne pouvait souffrir aucune réticence. « Il y a toujours le désir au départ d’une oeuvre, c’est intuitif, ça s’impose. Ensuite, à cette évidence, on ajoute des couches, des métaphores, de la complexité, une musique… Aujourd’hui qu’il me faut parler du film, je suis constamment étonné de ce que je m’entends dire. Tant je n’y avais pas pensé au départ! »

RENCONTRE Louis Danvers

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