Dans l’abondance folk de ces dernières années, la voix d’Alela Diane passe pour une des plus pures.

Elle est exactement comme on l’imaginait: cheveux longs, dont elle ramène une partie devant ses épaules, breloques indiennes discrètes, visage avenant, lèvres charnues. Aucune trace du long marathon promo qu’elle vient d’effectuer: nous sommes pourtant les derniers à cueillir Alela Diane dans les coulisses de l’Ancienne Belgique, à Bruxelles, après cinq jours d’interviews, entre Paris et Londres. La rançon d’un succès, peut-être relatif, mais pour le moins inattendu. Enregistré en 2006 dans le studio bricolé par son père dans le fond du jardin, ThePirate’s Gospel est sorti en 2007, et n’a cessé d’être encensé tout au long de 2008. « Je me rappelle d’un concert en particulier, en France. On suivait une route perdue. A un moment, on est tombé sur une affiche avec mon visage accrochée au bord d’un champ. Je me demandais: « Mais qui va venir jusqu’ici pour me voir ?! ». Quand on est arrivé sur place, c’était sold out! Cinq cents personnes sont arrivées de je ne sais où. C’est à chaque fois étonnant et extraordinaire de voir que des gens se déplacent pour venir écouter ma musique. Je ne l’explique toujours pas. »

Peut-être ne faut-il pas chercher trop loin. Pirate’s Gospel était notamment éclairé par une lumière crue fascinante, presque aveuglante. Cela tenait au dénuement des chansons folk, mais plus encore à la voix de la jeune femme. La preuve en est donnée avec son deuxième essai, sorti ces jours-ci. To Be Still convoque batterie, violon, banjo… Peut-être y manque-t-il l’un ou l’autre morceau marquant, mais c’est toujours bien la sensation de simplicité qui domine. Comme une sorte de classicisme primitif, qui s’entête à traquer la quintessence des choses. « Tous ceux qui ont joué sont des amis, à moi ou à mon père. Du coup, cela ne sonne pas comme un groupe de musiciens de studio professionnels. »

Alela Diane Menig a grandi à Nevada City. L’endroit n’est pas plus une ville qu’elle n’est située dans l’Etat du Nevada. A une heure et demie en voiture de Sacramento (Californie), la bourgade ne compte guère plus de 3 000 habitants. « Nevada City est née avec la ruée vers l’or. Tout le centre a d’ailleurs encore gardé un charme un peu ancien. » Il n’en faut pas plus pour éveiller des fantasmes de cité du Far West, un peu hors du temps, nichée au creux d’une nature sauvage. Clichés? L’hebdo français Les Inrocks s’est rendu sur place l’été dernier: il n’a pu que les confirmer. Peu après le départ des journalistes, Alela Diane crashera même sa voiture. En percutant un ours sauvage… « C’est juste un petit coin au milieu des pins et des montagnes, sourit-elle . Et puis il y vit aussi une communauté artistique importante. » De fait. La musicienne Joanna Newsom, le compositeur Terry Riley, le poète Gary Snyder… Sans compter Mariee Sioux, amie d’enfance, qui a également trouvé le chemin des scènes européennes.  » Dans les années 70, 80, pas mal de gens assez créatifs y ont emménagé. D’abord pour la beauté de la région. Ensuite parce qu’ils pouvaient inscrire leurs enfants dans des écoles où les programmes artistiques sont souvent très développés. » Chez les Menig, on chante tout le temps. Quand le père ne répète pas des reprises du Grateful Dead avec son groupe, il prend sa guitare pour accompagner sa femme. « Ma mère et lui chantaient des chansons traditionnelles des collines. » Pourtant, gamine, Alela Diane ne se plonge pas forcément dans la musique. Ne serait-ce que pour éventuellement canaliser une éventuelle rébellion adolescente. « D’une certaine manière, le fait que mes parents mènent eux-mêmes un style de vie un peu alternatif a fait de moi à un moment quelqu’un d’assez « raide ». J’étais bonne à l’école, c’était ma manière de me rebeller. » (rires)

Face à la mère Finalement, Alela Diane se raccrochera à la musique quand le cocon familial commencera à se fissurer. Le divorce de ses parents, la vente de la maison familiale, les études aussi, entamées dans la « grande ville », San Francisco. « J’ai eu une enfance géniale. Il y avait souvent des fêtes où mes parents invitaient des tas d’amis, avec de la musique… Je ne me souviens pas des côtés sombres, de choses douloureuses sur lesquelles chanter en fait. Je n’avais rien à dire. Je me revois adolescente en train d’essayer d’écrire des poèmes: rien de valable ne sortait. Une fois que je suis partie à San Francisco, tout est devenu différent. Ce changement abrupt, me retrouver dans cette ville, seule, c’était dingue pour moi. J’ai donc commencé à écrire des chansons pour évacuer ça. » C’est aussi à ce moment-là qu’elle décide de s’envoler pour l’Europe, seule. Un voyage pendant lequel elle compose une bonne partie de The Pirate’s Gospel. Le disque parle donc beaucoup des tourments qu’elle a pu traverser à l’époque. Depuis, Alela Diane est retournée à Nevada City et si entre-temps elle a redéménagé, à Portland, c’est pour rejoindre son amoureux. « Pirate’s Gospel vient en effet d’une période plutôt chahutée de ma vie. Mais aujourd’hui je ne suis pas triste, et je ne l’ai plus été depuis un bon bout de temps (rires). To Be Still n’est d’ailleurs pas vraiment un disque sombre. » S’il passe à autre chose, le nouveau To Be Still évoque cependant encore des épisodes intimes. Comme The Ocean, par exemple. « C’est l’histoire de ma mère, la façon dont je la vois, dont je perçois sa trajectoire, ses désirs… Dès que je l’ai terminée, je lui ai joué. Et elle m’a remerciée. » Tu as écrit ma chanson . » Quand mon père l’a entendue, c’était vraiment dur. Mais aujourd’hui, on la joue à deux sur scène. » Et puis, même apaisé, To Be Still n’explique toujours pas d’où vient cette voix: où Alela Diane déniche-t-elle une telle profondeur de sentiments? Se sentirait-elle par moment plus âgée que ce qu’indique sa date de naissance – le 20 avril 1983? « Je pense beaucoup au passé, aux gens qui ne sont plus là, aux histoires des grands-parents. Je ne sais pas pourquoi… Quand j’étais gamine, je ne voulais pas spécialement le rester. Je voulais être plus âgée pour pouvoir prendre les décisions toutes seules. Mes parents m’ont toujours dit qu’ils n’avaient jamais vu un bébé qui pleurait autant. A les écouter, j’ai pleuré pendant deux ans quasi non stop. Leur théorie est que j’étais frustrée de ne rien pouvoir faire seule. Quand j’ai commencé à parler et à marcher, tout est allé mieux. A croire que très tôt j’ai voulu tout faire par moi-même. » On devine que cela n’a pas tellement changé.

Alela Diane, To Be Still, Fargo/MunichEn concert le 7/04, à l’ Ancienne Belgique, Bruxelles.

Entretien Laurent Hoebrechts

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