DANS HITCHCOCK, LE BIOPIC DE SACHA GERVASI, HELEN MIRREN PRÊTE SON TALENT À ALMA REVILLE, MADAME HITCHCOCK À LA VILLE, FEMME DE L’OMBRE DONT LE RÔLE FUT DÉTERMINANT DANS LES FILMS DU MAÎTRE DU SUSPENSE.

En forçant un peu le trait, on dirait que le film aurait tout autant pu s’appeler Alma, ou encore Hitchcock-Reville, voire même Alma et Alfred. Mais soit, l’impact eut été moins fort que celui de Hitchcock, titre du biopic que consacre Sacha Gervasi, l’auteur auparavant de Anvil, au maître du suspense. L’un des mérites de l’entreprise est assurément de sortir de l’ombre Alma Reville, qui fut madame Hitchcock à la ville, mais aussi une collaboratrice essentielle de Hitch. Apparaissant au générique de plusieurs de ses films, elle exercera une influence souvent primordiale sur l’oeuvre, même si souterraine à l’occasion, puisque sa filmographie officielle s’arrête à I Confess, en 1953. La petite histoire veut, par exemple, que Hitchcock ne se lançait jamais dans un projet sans avoir eu son assentiment sur le scénario, marque de confiance et de respect qui pouvait aller bien au-delà encore. Au moment de recevoir le Life Achievement Award que lui décernait l’American Film Institute, en 1979, le réalisateur lui adressera d’ailleurs un hommage vibrant: « Je demande la permission de mentionner seulement les noms de quatre personnes qui m’ont donné le plus d’affection, d’estime et d’encouragement, ainsi que leur collaboration constante. La première de ces quatre personnes est monteuse de films, la seconde scénariste, la troisième est la mère de ma fille Patricia, la quatrième est un cordon bleu qui a fait des miracles dans la cuisine familiale. Leurs noms sont: Alma Reville. »

L’expérience de Psycho

Pour camper, aux côtés de Anthony Hopkins, celle qui fut la compagne d’une vie pour le cinéaste (ils s’étaient rencontrés dans les années 20, à Londres, alors qu’ils travaillaient tous deux pour la Famous Players-Lasky), Gervasi a porté son choix, avisé, sur Helen Mirren. On ne présente plus l’actrice britannique, quelques décennies de magnétisme à l’écran, et un parcours à même de donner le tournis, qui la conduisit notamment de Age of Consent de Michael Powell à O Lucky Man! de Lindsay Anderson, du Excalibur de John Boorman, au Cal de Pat O’Connor, de The Madness of King George de Nicholas Hytner au Gosford Park de Robert Altman. Le tout, dans un élan royal qui devait encore l’emmener à incarner The Queen, de Stephen Frears, une kyrielle de distinctions à la clé, parmi lesquelles les plus prestigieuses, de la coupe Volpi à Venise à l’Oscar de la Meilleure actrice.

Toutes considérations que l’on a bien sûr à l’esprit lorsqu’elle apparaît, souveraine, dans cette suite d’un grand hôtel londonien, pour aussitôt briser la glace d’un sourire amical, avant d’évoquer son rapport au cinéma de Hitchcock. « En fait, je n’ai pas une connaissance exhaustive de ses films. Mon appréciation de Hitchcock a évolué avec le temps: quand j’étais une jeune actrice, il était considéré comme old school, et ne m’intéressait pas vraiment. J’étais stupide et impatiente, ne comprenant pas l’immense cinéaste qu’il était, mais c’était le lot de beaucoup de monde à l’époque, et même de l’industrie du cinéma. Ce n’est qu’en vieillissant, et après qu’il a été rétabli à la place qui lui revenait dans l’histoire du Septième art, que j’ai commencé à mesurer son éclat, et celui d’Alma. » Psycho, sans doute le film le plus connu de son auteur, et celui dans les coulisses duquel s’aventure le Hitchcock de Sacha Gervasi, lui a toutefois laissé un souvenir indélébile, encore que de manière détournée: « Mon souvenir de Psycho, c’est mon père rentrant à la maison alors que j’étais encore enfant, et me racontant le film qu’il venait de voir, en me disant qu’il s’agissait de l’expérience la plus terrifiante de sa vie. Mon père n’était pas le genre d’homme à tenir ces propos à la légère, et je me rappelle encore de sa description de la scène où il descend l’escalier, avec la lumière qui balance… Plus tard, quand j’ai découvert le film, je l’ai trouvé terrifiant, et tellement hitchcockien, avec cette héroïne qui est une voleuse, un personnage contradictoire avec lequel on sympathise mais jusqu’à un certain point seulement…  »

Si le tournage de Psycho sert d’arrière-plan au biopic de Gervasi, c’est parce que Hitchcock connaît alors une passe délicate. Après North by Northwest, sommet de la machinerie hitchcockienne, le réalisateur souhaite s’atteler à un projet plus expérimental en effet, perspective que ses producteurs n’apprécient que modérément. Quant au couple qu’il forme avec Alma, il traverse une zone de turbulences. Pour en cerner la dynamique, l’actrice s’est notamment basée sur l’ouvrage de Patricia Hitchcock, Alma Hitchcock: A Woman Behind the Man -« ma principale ressource pour mes recherches. Sans lui ressembler en rien, j’ai essayé de créer la Alma au sujet de laquelle Patricia écrit. » Encore affiche-t-elle une certaine distance par rapport au titre: « Pour moi, Alma n’était pas derrière lui, mais bien à ses côtés. Homme ou femme, une association énergique, musclée, stimulante est toujours propice à la création. »

Partenariat sincère

Quant à la nature profonde de leur relation, mais aussi l’image fort chaste qu’en renvoie le film, elle ajoute: « Un bon mariage est pour moi avant tout un partenariat. Le sexe est magnifique, le désir merveilleux, mais ce n’est pas ce qui garde les gens ensemble, au contraire, c’est même bien souvent l’élément qui les sépare. Si mon mariage est une réussite, et je touche du bois, cela tient au fait qu’il s’agit d’une association sincère, c’est cela qui nous soude.« Mirren est mariée depuis 1997 au cinéaste Taylor Hackford, qu’elle avait rencontré une bonne dizaine d’années plus tôt, alors qu’ils tournaient White Nights. De son propre aveu, avoir pour compagnon un réalisateur, l’auteur notamment de An Officer and a Gentleman, Dolores Claiborne et autre Ray, et par ailleurs président de la Directors Guild of America, l’a aidée à appréhender la singularité du lien dépeint à l’écran, avec des nuances cependant: « En tant que femme de réalisateur, je comprends combien ce travail requiert un engagement total, 24 heures sur 24. Et combien il convient de lui apporter mon soutien inconditionnel. Mais contrairement à Alma et Hitchcock, Taylor et moi laissons également chacun d’entre nous vivre sa vie, et nous veillons à ne pas nous critiquer. On n’a pas besoin de cela, alors qu’il y a déjà plein de gens qui sont prêts à le faire, et à planter le couteau…  »

S’agissant d’Helen Mirren, l’éreintement est rare, cependant, elle qui, même dans les films les plus improbables (ainsi, récemment, de The Last Station de Michael Hoffman), réussit à tirer son épingle du jeu. Et dont le talent s’est encore vu consacrer lors des derniers European Film Awards, au titre de sa contribution au cinéma mondial: « J’y suis d’autant plus sensible que je me considère comme une actrice européenne bien plus que comme une actrice hollywoodienne, apprécie-t-elle. Le cinéma européen m’a toujours inspirée, il m’a procuré des émotions et m’a donné envie de devenir actrice. Quand j’étais jeune, le cinéma américain ne m’intéressait pas, pas même les films des années 60 et 70. Un film comme Five Easy Pieces (de Bob Rafelson, ndlr), par exemple, craignait à mes yeux, parce que je ne me retrouvais pas dans le personnage féminin. J’en ai toujours ressenti la misogynie et le sexisme, alors que le cinéma européen proposait des personnages féminins intéressants.« Une sorte de profession de foi, pour une comédienne se déclarant naturellement féministe « de même qu’il faut être humaniste, c’est une question d’égalité des droits.« Et qui, lorsqu’on l’interroge en guise de conclusion sur sa longévité, exceptionnelle dans la profession, répond, sans fausse modestie, « ne pas pouvoir résister à un bon rôle.« Royale, définitivement.

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À LONDRES

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